« Nous vous invitons à entrer chez quelqu’un. Vous serez son hôte, puis il deviendra le vôtre, ensuite celui de Folle Pensée, enfin celui des spectateurs.

Entrez chez quelqu’un ? Que veut dire entrer chez quelqu’un ?

Vous choisirez une personne (et son paysage), vous vous adresserez à elle, vous lui demanderez d’être votre sujet, vous entrerez en dialogue avec elle.

Entrez chez quelqu’un est-ce entrer dans le pays où il vit, dans la ville où il vit, dans la maison où il vit ? Est-ce vivre un peu de sa vie ? Est-ce s’imprégner de ses comportements, de ses habitudes alimentaires, de ses formes de langage, de ses rapports avec autrui ? Est-ce s’approcher de son corps ?

Vous partez de chez vous et vous allez chez lui. À vous de dessiner les contours de ce chez-vous et de ce chez-lui. À vous d’évaluer le juste degré d’intimité ; de le négocier avec votre sujet.

Vous réalisez le portrait d’un humain, d’un corps qui se meut dans un endroit précis, dans un environnement physique et matériel, dans des rapports avec des êtres vivants, avec des objets, des matières, des formes, des mots, des idées…

De son point de vue ce corps témoigne de la palpitation du monde.

Il vit là, précisément là. C’est à cet endroit et de cette façon qu’il nourrit son secret. C’est à partir de là, de cet endroit, qu’il tricote sa vie (et sa mort). Nous l’entendons murmurer : « mon secret je ne peux le livrer qu’à quelqu’un qui s’avance vers moi, qui me donne des preuves de son désir, de la vérité de sa quête. »

Quelles libertés vous autoriserez-vous ? Quels glissements vers l’interdit, vers ce qui se dit entre les mots, entre les lignes ? Par où arrivera la lumière sur celui que vous aurez choisi ? Par quoi serez-vous aimanté ? Par sa force, sa faiblesse, sa singularité, sa démence, son innocence, par les états que son corps traduit ? Si vous êtes un chasseur d’états extrêmes, partagerez-vous avec votre « modèle » des expériences, mettrez-vous à l’épreuve ses résistances ? À partir de la langue de votre modèle, de votre « personne-source », quelle langue sculpterez-vous ?

Vous reviendrez de ce voyage et vous vous approcherez de la scène. Votre sujet tramé dans une fiction, absorbé et transformé ne vous sera peut-être pas devenu plus familier, peut-être au contraire sera-t-il devenu plus étranger, plus étrange. Peut-être témoignerez-vous dans votre fiction de cet étrangeté, de cet éloignement.

Quelle forme peut prendre ce portrait-paysage ?

Ce portrait sera joué par une actrice ou un acteur, ce portrait sera mis en scène. Ce corps transmuté, traduit en mots prendra corps par le truchement d’un autre corps. Un autre corps qui sans doute ne lui ressemblera pas mais le représentera.

Le portrait que vous écrirez aura le théâtre comme destination première. Il sera adressé à des spectateurs.

Un portrait par le théâtre est-ce un monologue ? Devez-vous vous glisser dans la peau de votre sujet ? Utiliser le « je », le « tu » ? Ce portrait peut-il prendre la forme d’un journal ? Pouvez-vous écrire une prière ? Pouvez-vous adresser une prière à votre sujet ? Une apostrophe est-elle envisageable ? Un portrait écrit comme une apostrophe ?

À chacun de vous, auteurs, de répondre à ces questions, à chacun de vous de choisir un angle d’écriture, de choisir une forme, une langue. À vous de construire votre modus operandi, de choisir l’humeur et le style de votre texte.

Bon vent ! »

Roland fichet, 1er janvier 2009