Le point de Godwin - © Christian Berthelot

(Extraits des débats qui ont animé le blog des auteurs, metteurs en scène, acteurs, producteurs du cycle des créations « Portraits avec paysage » à propos de la scène de violence contenue dans Le point de Godwin de Damien Gabriac.)

Marine Bachelot — […] Je ne sais pas si Internet crée de la littérature, mais c'est clair qu'Internet crée du théâtre. Je trouve qu'il y a une super alchimie entre le protocole (le principe d'une rencontre sur Meetic) et ce que ça produit en terme de principes d'écriture (la forme du chat, par exemple), de construction dramatique (l'histoire d'une rencontre qui tourne vraiment mal), et au final de portrait pour le théâtre. Avec une belle dose de provocation de l'auteur, un jeu incessant sur les limites et le mauvais goût – que ce soit dans la rencontre vécue, ou dans les partis pris du texte. Ça met assez mal à l'aise, et c'est plutôt super intéressant. […]

Marie-Christine Mathieu — […] Donc, à la deuxième lecture, je me dis : Lʼabsurdité de notre condition humaine mise en exergue par « la vie » que lʼon sʼinvente sur la toile, pas de corps, pas de mensonges, alors donc allons-y à fond, des atrocités, des obscénités, bien à lʼabri derrière notre écran… […] moi les scènes de violence m'enlèvent toutes mes forces, toi, elles te révoltent... Chacun doit faire selon sa nature […] Pourquoi ce rire ? Parce que c'est tragiquement drôle… moi aussi, malgré l'effroi j'ai ri… par réflexe ? rire nerveux ? rire jaune… et quand je sais que cela ne raconte que le réel, j'ai envie de pleurer… […]

Olivia Duchesne — […] jʼai ressenti aussi que ce qui frictionnait bien était ce va-et-vient entre le jeu amoureux, (le profil, la petite maison…, disparition, fantasme, poème, cʼest toi non cʼest pas moi, la torture désirée…) et le sérieux du propos. Le travail intertextuel avec les allusions, citations, pseudos… mêle le politique et l'historique à cette « histoire dʼamour » et ça ouvre le sens. Avec le choix du prince charmant en la personne de Robert Antelme, je me suis retrouvée avec en tête la comparaison de lʼamoureux et du prisonnier de Dachau de Barthes, mais cʼest aussi parce que Le Point de Godwin exhale le désir. […] La scène de torture désirée mʼa beaucoup fait rire parce que sa forme peut-être, et puis parce que la chamaillerie se mêle aux menaces, à Hitler, etc… je ne sais pas ? Maintenant que je lis vos conversations à toi Damien et Marie-Christine j'y repense et je ne sais trop quoi faire de ce rire… […]

Patrice Rabine — […] j'ai ri, moi aussi, parce que sur les deux claviers, celui de Marguerite et celui de Robert, le bourreau parle plus souvent que la victime. Il n'y a pas une victime et un bourreau, mais deux bourreaux qui se livrent à une joute torturière. À tour de rôle (il s'agit bien de rôles), les deux bourreaux se suggèrent des situations de torture, ils les jouent sans jamais se toucher (sans qu'aucun contact physique ne soit possible et sans qu'aucune des monstruosités proposées ne paraisse les affecter). Aucun des deux n'est vraiment soumis à l'autre, chacun devant son écran reprend et poursuit le récit de l'autre. […] « Sera-t-il encore possible de torturer après ça ? » demandaient Chelmno, Belzec, Sobibor, Treblinka, Auschwitz-Birkenau, Maïdanek, Mauthausen, Ravensbrück, Sachsenhausen, Villa Mahiedinne. « Oui, répondent Pyongyang, Tènés, Chararba, Kigali, Guantanamo, Abu Ghraïb, Saint-Cannat, nous reprenons le récit de la torture à l'endroit où vous l'avez laissé, nous le poursuivons, ça ne finira jamais. » […]

Alain Camus — […] l'impression d'entendre derrière le texte un rire, pas en éclat mais permanent, qui accompagne la lecture, était-ce mon rire, la joie de cavaler en liberté dans une écriture foisonnante et baroque bien que maîtrisée ? Un rire qui culmine avec le jeu de la scène de torture, ce « faismoimalmaisdeloin.com » qui alimente le blog… […]

Damien Gabriac — […] Bien sûr ce texte [Le point de Godwin] baigne dans le doute, joue avec le mensonge : Est-ce que cʼest vrai ? Ce quʼils se disent est-ce vrai ? Le pensent-ils vraiment ? Est-ce quʼils existent ? Nous sommes sur internet, le royaume de lʼécriture, du profil, du profil en quête de devenir portrait. Marguerite et Robert sont des profils Meetic, ils sʼécrivent, ne se voient finalement quʼune seule fois, il y a du fantasme partout dans la façon dont Monica aime cet homme dont elle ne sait rien. Et lʼécriture là-dedans est la mémoire intolérable de la souffrance, de lʼhorreur, de ce que lʼon ne veut pas vivre, plus revivre, et aussi paradoxalement le moteur dʼun espoir qui maintient la vie en vie. […]