Le point de Godwin - © Christian Berthelot

(Extrait d'une réponse faite par Damien Gabriac à un autre auteur du cycle de créations « Portraits avec paysage ».)

[…] Ensuite oui, Marguerite Duras/Robert Antelme, La douleur/Lʼespèce humaine… oui, là cʼest la limite, oui. Deux fois oui. Cʼest avec ça que je désire me confronter. Cʼest peut-être terroriste, dans lʼintouchable de ce dont on ne peut parler, si on ne l'a pas vécu. Mais voilà aujourdʼhui ma démarche est celle là, à 25 ans, moi qui ne suis ni enfant soldat congolais, ni kamikaze tchétchène, dans quel rapport de vie je me place pour comprendre les mécanismes qui conduisent à une apocalypse du vivant. Je tente de me placer là où ça fait mal, là où ça touche, là où chacun a une pensée physique, poétique, philosophique de cette fin de lʼhumanité là, ici et maintenant. Lʼholocauste.

Et puis il y a Dieu, et le manque dans mon histoire, donc lʼinfini, donc oui jʼai le droit de parler avec des personnages qui sʼappellent Robert et Marguerite, et de parler de lʼholocauste, cʼest notre histoire, même si elle reste insaisissable, il nous appartient à tous dʼen être traversé.

Et puis il y a surtout sur Internet le fameux point Godwin qui est le lien intelligent de toute la pièce. Car aujourdʼhui sur internet cʼest la guerre. Lire les commentaires, les forums, de nʼimporte quel site dʼinformation. Cʼest la guerre parce quʼon ne se voit pas, on sʼécrit dessus, comme on se pisserait dessus, les uns sur les autres je veux dire.

Alors ce lien : histoire dʼamour, histoire dʼholocauste, histoire dʼinternet, histoire de dieu… Est-ce que cʼest drôle ? Pas sûr. Peut-être. Est-ce que cʼest tragique ? Pas sûr. Peut-être. Est-ce que cʼest interdit ? Surement pas. Est-ce que cʼest délicat ? Certainement. Est-ce que se poser des questions là-dessus et lʼécrire cʼest indécent ? Je ne sais pas.

Et puis détail : il y a dans le texte, une citation de « Vengeance ? », un essai de Robert Antelme. Cʼest ça la question. Vengeance ? Dans la vengeance et cʼest ça le plus terrible, il y a de lʼhumour : lorsque les résistants rasaient et violaient les femmes qui avaient couché avec des soldats allemands ça les faisaient bien rigoler ; lorsque les alliés en 45 dessinaient de petits motifs sur les bombes qui allaient raser quelques villes allemandes, ils ont dû bien se taper des barres de rires ; et sur la bombe atomique, accrocher un petit message dessus, ça devait être vraiment lʼéclate sur le moment pour ces pilotes américains ; et torturer un détenu de Guantanamo en le harcelant sexuellement et en lui mettant du faux sang de menstruation sur le visage et prendre des photos avec lui à quatre pattes, et ben sur la photo on se marre, parce que le 11 septembre, parce que le 11 septembre… Voilà de quoi ça parle, de ces gens-là, qui rient de toutes leurs dents, à ce moment-là. Je ne les juge pas. Je parle de ça.

De ce jeu de la mort, on se venge, et on devient avec la joie de vivre, un monstre, parce que, parce que… la mémoire vive… la mémoire brûle. […]

Damien Gabriac