Le point de Godwin - © Christian Berthelot

Monica est une jeune fille plutôt jolie, mais pas trop, son visage est long et ses fesses aussi, elle est belle quand elle sourit ou quand elle parle une langue étrangère au français. Monica adore les voyages, mais elle fait des études, alors elle ne peut pas voyager. Pour palier cette absence de mouvement géographique, Monica a choisi de faire des études de langues, dʼabord dʼitalien, ensuite dʼanglais. Mais Monica est avant tout suédoise, cʼest pour ça quʼelle est blonde et quʼelle a une soeur jumelle.

À 26 ans Monica boit beaucoup de Vodka avec ses copines, elle a quitté son mec avec qui elle était depuis quatre ans, et depuis 1 an elle cherche un autre amour sur Internet ou dans lʼalcool. Monica est très blanche aussi. Elle habite à Rennes pour ses études, et entend les ambulances passer toute la nuit, ce qui lʼempêche de dormir mais pas de faire la fête. Mais Monica préfère dormir, parce que faire la fête se résume à boire et vomir. Mais Monica surtout aime le calme, elle le trouve à Plérin, chez ses parents qui ont été muté ici, surtout son père, quand elle était petite, elle y retourne souvent à Plérin pour ne rien faire ou bien continuer à chercher un homme sur Internet.

Monica en veut aux hommes, elle se dit que cʼest impossible de vivre avec eux, ils sont trop immatures, et on ne peut pas leur faire confiance, alors elle recherche un homme attentionné sur Internet. Monica nʼaime pas croiser son ex parce quʼelle est gênée et quʼelle a perdu confiance en lui, cʼest pour ça quʼelle veut déménager, il habite à côté, et à cause des ambulances aussi qui ne sʼarrêtent jamais de passer.

Quand on lui demande si elle ne se sent pas trop loin du centre ville, elle répond quʼelle aime bien marcher, et quʼau centre cʼest trop cher, et quʼ« avec lʼargent que jʼéconomise je ferai plus tard tous les voyages que je veux », et puis cʼest assez bien desservi en bus et métros quand elle nʼa pas envie de marcher. Monica quand elle rencontre un prétendant un peu lourdingue sur Internet, elle se dit, et elle lui dit, que cʼest fou dʼavoir une si bonne opinion de soi.

Monica dit dʼelle quʼelle nʼest pas parfaite, quʼelle est humaine et quʼelle a un coeur. Elle nʼaime pas juger les gens, elle préfère les comprendre, cʼest plus la beauté intérieure qui lʼintéresse et sʼil a du charme cʼest tant mieux, elle avoue quand même quʼil faut un minimum dʼattirance, elle refuserait de parler à un gros boutonneux dégueulasse sur Internet, mais en général on ne sait pas sʼil est comme ça lʼautre sur Internet, alors elle discute quand même avec les gens laids. « Si tʼaimes beaucoup la personne, le physique tʼy penses moins » elle dit Monica.

Quand on lui parle de faire un portrait dʼelle, elle se dit déstabilisée, elle aime bien rester anonyme. Elle ne veut surtout pas quʼon dise quʼelle a eu son permis de conduire seulement à 26 ans, et que ça fait 8 ans quʼelle le rate, ça craint elle dit. Et puis faire des études dʼAnglais ça craint aussi, cʼest pour devenir prof, alors quʼelle veut voyager, et elle sait pertinemment quʼelle va commencer sa vie active en banlieue parisienne et ça ça craint vraiment, commencer sa vie professionnelle en banlieue parisienne… Cʼest pour ça, à cause de tout ce qui craint dans sa vie quʼelle appelle sa soeur jumelle tous les jours au moins une heure, elle vit et travaille en Irlande sa soeur jumelle. En primaire elles sʼéchangeaient leurs copains.

Ce serait impossible aujourdʼhui dit-elle. Alors Monica sʼest inscrite sur Meetic et dit quʼelle est timide et aime écouter de la musique et cuisiner. Quand elle épelle son prénom sur Internet, elle écrit Mot Ni Cas. Et pour quʼon la reconnaisse quand elle prend rendez-vous avec un inconnu elle dit quʼelle ressemble à Mathilde Seigner. Rencontrer des gens dʼinternet ça fait paniquer Monica, alors elle a décidé de faire du Yoga parce quʼon nʼutilise seulement 30% de nos ressources, elle a déjà fait de la sophrologie, mais… manque de patience. Monica est très stressée dans la vie mais croit quʼà force, c'est-à-dire en vieillissant, ça ira mieux. Enfin, Monica est pour la suppression du doublage en français pour les films et les séries télés, comme ça les français seraient meilleurs en langues. Je suis dʼaccord avec elle.

Damien est un connard qui a toujours voulu faire menuisier. Damien ment beaucoup. Des fois, ses mensonges sont tellement bien construits dans son esprit, quʼil se convint lui-même quʼil dit la vérité. Un jour, il a vu un dessin animé ou un enfant obèse et méchant comme lui raconte aussi beaucoup de mensonges sans sʼen rendre compte, alors ses copains lui disent que cʼest parce quʼil a un égo tellement développé quʼil ne se rend même plus compte quʼil invente une réalité qui convient à son moi surdimensionné. Mais Damien nʼa pas inventé Monica. Il ne croit pas. Le point de Godwin peut-être, mais pas Monica.

Le point de Godwin est la première pièce de théâtre écrite par Damien pendant plus dʼun an. Pour laquelle en tout cas, il a beaucoup travaillé et fait au moins une centaine de versions. Damien aime bien exagérer, parce que quand ce nʼest pas pris au sérieux cʼest drôle, et quand cʼest pris au sérieux cʼest impressionnant. Et être impressionnant et drôle cʼest à peu près tout ce que désire Damien, et être pris au sérieux aussi. Damien est comédien aussi, et ça ne lui est arrivé que deux fois dʼêtre à la fois pris au sérieux, impressionnant et drôle dans un spectacle. Une fois dans Das System mis en scène par Stanislas Nordey, une autre fois dans Comment toucher de Roland Fichet. Damien, quand il nʼest ni impressionnant ni drôle, essaie toujours de rester sérieux, il lit lʼintégrale des auteurs quʼil travaille. Il a lu tout Gaudé, tout Camus, tout Fichet, tout Paradivino, tout Pasolini, tout Handke, tout Richter, tout Mouawad… En ce moment il sʼattèle à lire tout Dostoïevski parce que comme lui il est né un 30 octobre.

Quand Damien aimait le football dans son adolescence, il supportait lʼéquipe dʼAmiens. Au jour dʼaujourdʼhui il nʼa toujours pas visité le stade de la Licorne, une enceinte de 12 000 places, extensible à 20 000 si jamais ils montent en ligue 1 un jour.

Damien a déjà écrit plusieurs pièces de théâtre, la première sʼintitule Carton Rouge, mais ça nʼa rien à voir avec le football, cʼest juste les plus grandes entreprises françaises qui discutent entre elles, son père a lu les 5 premières pages et lʼa diagnostiqué irrécupérable ; la deuxième pièce cʼest Lʼaccident Des Dieux, qui par contre parle de foot, cʼest lʼhistoire revisitée du coup de boule de Zidane. La mère de Damien aime beaucoup ce titre Lʼaccident Des Dieux parce quʼil y a beaucoup de « D » dedans, elle a pu lire cette pièce parce que le foot ça fait pas trop mal à la famille. Damien a écrit une autre pièce de théâtre avant tout ça, elle sʼappelle Il Manque La Petite Ré, cʼest une réponse au personnage de B dans Manque de Sarah Kane.

Damien a tout lu de Sarah Kane et aussi de Stig Dagerman qui a écrit Lʼenfant Brûlé et Notre Besoin de consolation est impossible à rassasier, entre autres, ces deux auteurs sont ses doudous comme il dit, toujours près du lit. Ils ont écrit des choses qui le font trembler et se sont suicidés très jeunes, ça fascine Damien. Stig et Sarah sont tout les deux, même sʼil nʼaime pas ce mot à cause de la télévision, des « journalistes » de la guerre et de lʼamour. Damien trouve que partout il manque soit de la guerre, soit de lʼamour, et quand il trouve quelque chose qui contient les deux il est heureux, super heureux. Ça lui donne aussi envie de se battre et dʼêtre amoureux. Il a trouvé ça chez une seule personne jusquʼà aujourdʼhui, elle sʼappelle Flora, et elle ne serait pas contente dʼêtre citée dans un portrait de lui-même fait par lui-même. Elle doit en avoir marre, et la copine actuelle de Damien doit aussi en avoir marre de toujours entendre parler de cette Flora. Tant pis pour elles, et pour Monica aussi qui ne voulait pas quʼon parle dʼelle. Mais Damien est un connard, il vous a prévenu dès le début. Cʼest pour ça que Monica torture à mort lʼauteur du Point de Godwin, cʼest parce quʼelles ne veulent pas quʼon parle dʼelles... Monica voulait vraiment ça, que… je le mette dans le texte…, me torturer, me faire du mal en réalité… jʼai traduit torture. Mais bon, jʼai un secret qui fait que jʼextrapole tout.

En fait jʼai plusieurs secrets : Si dans le texte Le point de Godwin le ciel est bleu marine lors de la rencontre des deux protagonistes, cʼest parce quʼen réalité tout ce texte est dédié à une noble fille qui sʼappelle Marine. Le deuxième secret cʼest que je ne lis Flaubert, Balzac, Maupassant et Nerval que pour dire : Je sais de quoi tu parles, cʼest bon. Une espèce de complexe dʼinfériorité venant sans doute de mes origines paysannes, un rattrapage. Mon dernier secret et pas le moindre au niveau temporel cʼest les séries télés américaines, les bonnes, celles des chaines HBO, AMC… et les moins bonnes aussi mais structurellement inventives comme Lost ou 24… Les structures narratives accrocheuses me structurent car je suis très abstrait. Je vois la vie comme un cadre dans lequel on pourrait tirer une infinité de tiroirs, et il faut quʼau moins un tiroir soit ouvert sinon cʼest le décès assuré. Et sortir du cadre aussi cʼest le trépas, et le pire cʼest que cʼest possible et même facile de sortir du cadre, et si ça se trouve il faut que je sorte de ce cadre pour vivre mieux, mais je préfère me dire quʼil vaut mieux fermer un tiroir, ou en ouvrir un autre, cʼest assez dur comme ça.

Pour finir ce portrait, je suis resté 9 mois et demi dans le ventre de ma mère ; jʼai failli me noyer à lʼâge de 6 ans et Christian, le mari de Marie-Thérèse, lʼaide maternelle de lʼécole, mʼa sauvé la vie ; jʼai eu un cancer sur un testicule à lʼâge de 12 ans, mon permis de conduire un 6 novembre, mon premier contrat de comédien un 6 novembre aussi dans un spectacle qui sʼappelait Cris ; Flora a trompé 3 hommes avec moi ; jʼai fait lʼamour pour la première fois dans la nuit du 31 juillet au 1er aout ; mon oncle menuisier a trouvé le temps (en juillet aussi) de se pendre dans son atelier, parce que ma tante mʼa vu à la télé et ça lui a fait penser que ce serait bien dʼaller rendre visite à mes parents ; 2006 est la dernière année où jʼai été le plus souvent heureux ; jʼai une photo, la 124ème sur mon téléphone portable, dʼEmmanuelle Béart avec une banane dans la bouche et enfin, jʼaime beaucoup le cinéma, mais 2 heures cʼest trop court.

Damien Gabriac