« J'espère ne pas me perdre d'ici ce soir » de Nicolas Richard, m.e.s. Agathe Bosch, avec Monique Lucas - © Christian Berthelot

Extrait du protocole d'entrée en relation envoyé au Théâtre de Folle Pensée par Nicolas Richard plusieurs mois avant la livraison de la première version de J’espère ne pas me perdre d’ici ce soir.

« […] Comment faire le portrait de quelqu’un ? a fortiori de quelqu’un qu’on ne connait pas ? Qu’est-ce que connaître quelqu’un ? Est-ce l’écouter ? Comment l’écouter ? Est-ce le regarder ? Comment le regarder ? Peut-on connaitre quelqu’un sans le voir ? Est-ce lui parler ? Comment lui parler ? Peut-on connaitre quelqu’un sans lui parler ?

Lui poser des questions ? Quelles questions lui poser ? Quelles formes donner à ces questions, de quels types doivent-elles être ? Les réponses suscitées me permettront-elles de réaliser son portrait par écrit ? Comment dépasser le questionnaire de sondage ou l’enquête sociologique alors que je ne suis ni enquêteur ni sociologue et que l’on sait que ce type de démarche ne permet pas de connaître quelqu’un ?

Au bout de combiens de questions aurai-je le sentiment d’avoir assez d’éléments pour réaliser son portrait, pour décrire son paysage ? 10 questions ? 30 questions ? 50 questions ? 100 questions ? 200 questions ? 500 questions ? »

« Toute une vie de questions ne suffirait pas à connaître quelqu’un, l’entreprise d’écriture qui vise à faire le portrait d’une personne réelle contient en elle-même son propre échec. »

« […] il s’agit alors d’organiser des « rencontres paradoxales », c’est-à-dire d’inventer des modes de rencontres qui mettraient en jeu cette impuissance et cette impossibilité à connaitre quelqu’un pour en faire le portrait par écrit. »

« […] plusieurs modalités de rencontres sont envisagées, toutes ne seront peut-être pas pertinentes mais elles essayeront à chaque fois d’éprouver la condition de l’impossibilité ou de la possibilité de l’écriture du portrait avec paysage de la personne concernée.

1. Une rencontre-questionnaire.
L’élément central du protocole est la réalisation d’un questionnaire fleuve (entre 300 et 500 questions environ), questionnaire auquel la personne devra répondre. Je rencontrerai cette personne pour l’accompagner dans cette tâche, une partie des questions sera également élaborée avec elle. Ces questions aborderont tous les sujets possibles, et entreront peut-être en grande part dans la forme du portrait délivré.

2. Une rencontre aveugle.
Il s’agira de mettre en place une étape où je ne verrai pas la personne lors de la rencontre. Via un téléphone portable, elle me guidera par sa voix dans les rues de Saint-Brieuc pour m’indiquer des lieux, me montrer son paysage.

3. Une rencontre via une tierce personne.
La  rencontre se fera via une troisième personne dont je pourrai ensuite recueillir le témoignage, cette tierce personne pourra être un autre auteur participant au projet « portraits avec paysage ».

4. Une rencontre muette.
La rencontre s’effectuera sans que je parle avec la personne. Si elle me l’autorise, je pourrai me comporter lors de cette rencontre comme un observateur muet et assister à des moments de sa journée tout en prenant des notes ou en l’enregistrant.

Une fois ces étapes réalisées avec la même personne, d’autres questions se poseront auxquelles le texte-portrait tentera de répondre : comment parler de quelqu’un ? Qu’est-ce parler de quelqu’un ? Quel texte ? Quelle fiction ?
Qu’est-ce que ces formes de rencontres vont changer dans mon écriture ? »

Paris, le 1er juin 2009.
Nicolas Richard