« Paysage intérieur brut » de Marie Dilasser, m.e.s. par Christophe Cagnolari - © Christian berthelot

Deux portrait express, écrits à la demande du Théâtre de Folle Pensée par Marie Dilasser : celui de Bernadette, le personnage principal de Paysage intérieur brut, et celui de Marie, l’auteure de la pièce.

Bernadette

Bernadette est une petite femme brune souvent habillée en noir. La vie qu'elle draine la dépasse largement en poids et en taille. Sa date et son lieu de naissance n'ont pas beaucoup de valeur à côté de l'énergie qu'elle met à installer et à débarrasser le goûter de ses enfants, Paul et Cléo. Autour d'eux, des prairies, des champs de céréales, de maïs et de charolaises. Son conjoint, Joël, est agriculteur en agriculture biologique. De temps en temps, elle l'aide à ensacher un veau ou une génisse et à ramasser les cailloux dans les champs. Elle est comptable dans une entreprise de bâtiment, elle aime beaucoup les chiffres.

Elle aime aussi les loisirs mais elle n'a plus beaucoup de temps à y consacrer car depuis un an, elle est pompier bénévole. Cependant, une fois par mois elle met un patch pour ne pas vomir dans le bateau et plonger avec d'autres. Ils vont visiter des épaves.

Son histoire n'est pas évidente à cause de tous les morts autour d'elle. Est-ce cela qui m'a poussée à la rencontrer pour ce « portrait avec paysage » ? Peut-être. Mais aussi tout le reste. Cet agencement de champs, de vaches blanches comme des fantômes, de feu, de raclette, de cadavres, du registre noir sur lequel elle a noté plein de choses sur son ancien employeur, des pyjamas bébés de Paul et Cléo qu'elle garde pour l'enfant de son fils antoine, de sa mère qui marche quinze kilomètres pour retrouver son ancienne voisine, ses oies, son ancienne vie…

Il y a quelque chose, autour de Bernadette, d'incessant qui me fascine.

Marie

Ici, dans ce refuge et maquis du centre Bretagne ; je passe mon temps à écrire, à lire et à faire toutes les choses que tout un chacun a à faire quotidiennement. En ce qui concerne l'écriture, je n'écris que du théâtre. Ça va peut-être changer bientôt, on verra. Ce qui est sûr, c'est que c'est en écrivant que je me sens le plus proche de la vie et pour moi, la vie est essentiellement une affaire de langages et de signes, d'où mon attirance pour le théâtre.

J'écris pour voir jusqu'où peut aller mon langage. C'est-à-dire que quand j'écris, je ne sais pas ce que ça va raconter. Je me laisse embarquer dans l'écriture, dans ce qu'il se passe au fur et à mesure que j'écris. C'est dangereux, je me fais prendre au piège des clichés et du déjà vu, c'est tentant. Le premier temps de mon travail consiste à lutter contre ça, les clichés et le déjà vu. Et à force de lutter, j'arrive à la fin de la pièce. Le deuxième temps de mon travail consiste à répondre à la question « Et alors ? Qu'est-ce que ça raconte ? » Et là, je suis vraiment embêtée. Je passe un temps fou à décider de ce que ça va raconter, c'est important, c'est sans doute le plus important.

Ce qui est sûr aussi, c'est que je lis beaucoup. Quand j'ouvre un bouquin, j'aime qu'il m'offre un langage qui ouvre sur des façons différentes de percevoir le monde et donc, qui ouvre sur de la pensée en lutte avec l'innommable (Kafka, Deleuze, Jarry, Artaud, Cortazar, Canneti, Haarms, Pizarnik, Beckett, Collobert…). Écrire et lire sont pour moi une forme de résistance politique. Bien sûr, ça ne change pas le monde mais déjà, ça change la façon de le percevoir, donc, ça fait quand même avancer le jmilblik…