« Qu'elle ne meure » de Roland Fichet, m.e.s. Gildas Milin - de G à D : Jérôme Boivin, Marie-Laure Mouak, Faudile Kebbi, Bénédicte Le Lamer, Eye Haidara, Jean-Pierre Baro -- © Christian Berthelot

La personne qui lapide une autre personne n’agît pas en tant que personne. Elle n’est, à proprement parler, pas une personne. Elle ne peut lapider l’autre que parce que son identité, sa subjectivité, sa personne est fondue, s’est fondue ou a été fondue dans une masse, un groupe. Elle n’agit plus elle-même, mais elle est agit, comme possédée, téléguidée par un impératif collectif.

Partant de ce simple fait, j’imagine le travail, le projet, d’abord comme un chœur à construire, à faire vivre, comme un groupe qui décide, à l’occasion, d’incorporer une foule de personnes, une foule d’êtres, pour former un corps hors de proportion qui se donne le droit et le pouvoir d’aimer tuer.

Son contraire est un simple individu, une personne qui est sortie du « on » collectif pour devenir un « je » subjectif, sujet autodéterminé mis à mort par le chœur subjectivement indéterminé.

Concrètement, un chœur de cinq interprètes dont les protagonistes solistes comme dans un théâtre grec, naissent, émergent comme sujets : une femme noire, lapidée, victime, figure exemplaire – une femme blanche, témoin d’une incommunicable horreur sur le sol d’Afrique – maîtres de cérémonie, tueurs – personnes constituant la foule des témoins ou incarnant les acteurs de la lapidation.

J’imagine donc une oscillation comme une danse permanente entre le chœur porteur d’espace, de musique, de défense de territoire, de jugement valide avec sanction mortelle, de peur – en face de héros subjectifs porteurs de solitude, de logos ou de silence, de conscience et, là aussi de peur.

Je vois ici une grande actualité du texte de Roland Fichet à l’heure où le corps des femmes – alors qu’il est meurtri, vendu, rabaissé, dénigré, accusé des pires maux, tué – « ce corps des femmes » trouve aussi le moyen de se mettre en scène dans l’espace public, comme jamais auparavant, entraîné par le souffle de la troisième révolution féministe.

On peut penser aux Femen, ce groupe d'ukrainiennes qui manifeste torse nu, de Kiev à Paris en passant par Davos.

On peut penser aux Pussy Riot, ce groupe russe qui a défrayé la chronique récemment, aux femmes indiennes se mobilisant et manifestant après le scandale provoqué par le viol collectif d'une jeune femme, à New Delhy, en décembre 2012, morte 13 jours plus tard.

On peut penser à l'appel à célébrer la féminité qui est devenu un mouvement international appelé One Billion Rising (un milliard debout) correspondant au nombre de femmes violées et, ou, battues, chaque année dans le monde (une femme sur trois).

On peut penser à la Guérilla Rose japonaise, aux insoumises, à ce milliard de femmes en marche, à ce nouveau champ de bataille mondial qui s'étend des Etats-Unis, à l'Inde, la Chine, la France, l'Afghanistan,etc. À Aliaa Magda Elmahdy, utilisant son corps comme outil de résistance contre la Charia. On peut aussi penser à une autre actualité, celle des événements aussi complexes que récents survenus au Mali.

Autant d'éléments, de lignes, de possibilités que je souhaite rendre sensibles dans le travail, la représentation, et qui éveillent chez moi une urgence à mettre en scène le texte de Roland jean Fichet.

Gildas Milin