Carte postale « Une aboyeuse de Josselin » - © DR

Je relis les informations fournies par Richard Fichet et Philippe Carrer sur les Aboyeuses de Josselin. Rebelles elles l’étaient ces femmes, et cette rébellion les mettait dans d’étranges états. La question sexuelle là aussi était de la partie. J’écris quelques notes.

Note 1 - Le 4 novembre 1727, deux filles de Camors dans le Morbihan tombèrent « en aboiement ». Elles aboyaient aussi bien le jour que la nuit. Comme des chiennes. De longues séries d’aboiements qui duraient parfois plus de deux heures. Elles étaient les premières d’une sorte de mouvement de révolte qui se répandit dans toute cette partie du Morbihan. Dans de nombreux villages des femmes se mirent à aboyer. Et cela dura pendant deux siècles.

Note 2 - Les crises d’aboiements de ces femmes étaient plus intenses et plus fréquentes au moment des célébrations de la Pentecôte et de la Nativité de la Vierge. Donc durant ces journées où les langues et la virginité mobilisaient l’attention, devenaient le sujet central des prêches et des sermons.

Note 3 - Les Aboyeuses de Josselin, comme on les a nommées, étaient des paysannes pauvres. Elles ne parlaient pas le français. Jusqu’à l’arrivée des missionnaires catholiques — Le Père Maunoir est le plus connu de ces évangélisateurs —, les femmes jouissaient d’une liberté sexuelle que la religion chrétienne réprouve. Philippe Carrer écrit dans Oedipe en Bretagne : « Faire la chienne, c’est montrer qu’on est pas forcément une gentille fille ou une gentille femme, soumise à sa mère ou à son père, soumise à son mari, soumise à son recteur ou à l’Église, soumise à la Sainte Vierge, qu’on n’est pas seulement une eau calme, une eau dormante, mais qu’on peut aussi à l’occasion avoir un volcan dans son ventre. »

Note 4 - La Vierge se dresse face aux Aboyeuses et les guérit. Notre Dame du Roncier, la star de Josselin, est la plus efficace des Vierges matérialisées dans une statue. Elle guérit les Aboyeuses à tous les coups, le 8 septembre, jour où l’on célèbre sa naissance. Mais la Vierge est sur tous les fronts. Elle ne se contente pas de faire des miracles dans son sanctuaire de Josselin, elle apparait un peu partout en Bretagne tout le long du XVIIème siècle. Elle apparait à Plouvorn, Quimper, Plounevez-Quintin, Arradon, La Prenessaye-Querrien, Morlaix, Lanvellec, Lanrivain… Elle mène campagne en pays breton. L’enjeu a l’air de première importance. La Vierge veut que le corps de la femme soit docile, purgé de toute passion, absent à lui-même.

Note 5 - Les Bretons aiment la musique, la danse, le théâtre. Ils aiment la fête. Ils aiment les fêtes de nuit. Au XVIIème siècle, l’Église intensifie l’évangélisation de la Bretagne. Elle déclare la guerre aux fêtes. Ce sont pour elle des moments de débauche. Le désir sexuel quelle horreur !

Note 6 - Les femmes-qui-aboient opposaient une farouche résistance. Elles ne voulaient pas entrer en contact avec la Vierge. Elles ne voulaient pas être guéries. Guéries de quoi ? On imagine la scène. Ces femmes, ces sorcières, ces possédées sont arrachées à leur village et emmenées de force à Josselin. Il faut qu’elles se soumettent au baisement de Notre Dame du Roncier, il faut qu’elles touchent la Vierge avec leurs lèvres. Alors nous dormirons plus tranquilles, fini ces corps de femmes en transes, fini ces hurlements de chiennes. L’Aboyeuse se retrouve devant la foule des pèlerins. Elle sent ce qui l’attend. Elle ne veut pas de ce traitement. Elle est puissante, son énergie est redoutable. Elle lutte. Elle hurle. Elle déchire ses vêtements. Les hommes la prennent à plein bras, la soulèvent, la portent, l’attrapent comme ils peuvent. Scènes physiques, érotiques. Les pèlerins n’en perdent pas une miette. L’église de Josselin devient le théâtre d’un formidable corps à corps entre une femme qui aboie et trois hommes en sueur. Elle ressortira du ventre de l’église muette et brisée. L’évêque et les prêtres déclareront qu’elle est guérie.

Note 7 - Quand j’avais dix ans, j’ai fait le pèlerinage du 8 septembre. Aux côtés de mon père, j’ai marché vers la Vierge du Roncier. J’ai fait à pied les vingt-quatre kilomètres qui séparaient notre paroisse de Josselin. Mon père m’a raconté l’histoire des Aboyeuses, il m’a raconté la version catholique. Rusée, l’Église a tenté de rattraper le coup par une légende. À Josselin, il n’y avait plus trace d’Aboyeuses. Au retour, j’ai senti que moi aussi, j’aimerais bien aboyer un jour.

Roland Jean Fichet