© Roland Fichet

Quelque part sur le sol d'Afrique, une femme blanche, occidentale, regarde la télévision, un après-midi. Dans la chaleur de la journée, elle assiste, en suivant un programme télé, à un rituel de lapidation d'une femme adultère.

Cette mise à mort d'une femme noire, au nom des règles de la loi islamique ou, plus précisément, suivant « le chemin pour respecter la loi de dieu », la submerge totalement, la plaçant dans son impuissance, son désaccord, son cri.

 

___Intentions


L'occasion pour moi de renouer avec des interrogations concrètes (à caractère scientifique - neurosciences) portant sur la tragédie grecque, les origines du théâtre.

La personne qui lapide une autre personne n’agît pas en tant que personne. Elle n’est, à proprement parler, pas une personne. Elle ne peut lapider l’autre que parce que son identité, sa subjectivité, sa personne est fondue, s’est fondue ou a été fondue dans une masse, un groupe. Elle n’agit plus elle-même, mais elle est agit, comme possédée, téléguidée par un impératif collectif.

Partant de ce simple fait, j’imagine le travail, le projet, d’abord comme un chœur à construire, à faire vivre, comme un groupe qui décide, à l’occasion, d’incorporer une foule de personnes, une foule d’êtres, pour former un corps hors de proportion qui se donne le pouvoir de pouvoir « Aimer Tuer » son contraire.

Son contraire est un simple individu, une personne qui est sortie du « on » collectif pour devenir un « je » subjectif, sujet autodéterminé mis à mort par le chœur subjectivement indéterminé.

Concrètement, un chœur de cinq interprètes dont les protagonistes solistes comme dans un théâtre grec, naissent, émergent comme sujets : une femme noire, lapidée, victime, figure exemplaire - une femme blanche, témoin d’une incommunicable horreur sur le sol d’Afrique - maîtres de cérémonie, tueurs - personnes constituant la foule des témoins ou   incarnant les acteurs de la lapidation.

J’imagine donc une oscillation comme une danse permanente entre le chœur porteur d’espace, de musique, de défense de territoire, de jugement valide avec sanction mortelle, de peur - en face de héros subjectifs porteurs de solitude, de logos ou de silence, de conscience et, là aussi, de peur.

La même oscillation que chacun peut vivre, aujourd’hui concrètement, entre son hémisphère droit (correspondant aux aires neurales de la survie, du groupe, de la danse, du chant, de l'ultra perception) et son hémisphère gauche (correspondant à la subjectivité, la rationalité, le logos, le héros tragique, solitaire).

Entre une conscience collective qui remonte aux origines de sapiens sapiens et une conscience subjective qui coïncide historiquement, comme par hasard, avec la naissance de l’écriture.

 

___Chant, danse, paroles


Pour cinq interprètes.

Je n'ai pas de visions préexistantes de metteur en scène à la lecture, sauf à dire que le texte de Roland Fichet, ne comportant pas de dialogues et se structurant, à partir de plusieurs systèmes d'adresses, comme un récit, une exposition chronologique, il me semble essentiel de partitionner entièrement le texte dans un premier temps (préalable aux répétitions).

À partir de cette partition, de cette distribution du texte, chacun des cinq interprètes sera tour à tour soliste ou partie intégrante du chœur.

Pour suivre la piste des fonctionnements de nos cerveaux, au-delà de la partition textuelle, devra se mettre en place, au cours des répétitions, une partition musicale et chantée, ainsi qu'une partition faisant fortement appel sur le plateau aux corps des interprètes, mélangeant naturalisme, formalisme, tous types de signes émis par les corps et danse.

Les cinq interprètes, deux femmes (une noire et une blanche) et  trois hommes noirs seront à la fois, danseurs, chanteurs musiciens et acteurs.

 

___Actualité


« Aimer Tuer ».  On peut lire dans le titre un simple effet provocateur mais j'y vois surtout un rapport de force entre femmes et hommes ou l'expression de la peur de certains hommes face à l'émancipation notamment sexuelle des femmes et face à une possible mise en périphérie des hommes par les femmes, dans un avenir pas si lointain.

Je vois ici une grande actualité du texte de Roland Fichet à l'heure où le corps des femmes – alors qu'il est meurtri, vendu, rabaissé, dénigré, accusé des pires maux, tué – « ce corps des femmes » trouve aussi le moyen de se mettre en scène dans l'espace public, comme jamais auparavant, entraîné par le souffle de la troisième révolution féministe.

On peut penser aux Femen, ce groupe d'ukrainiennes qui manifeste torse nu, de Kiev à Paris en passant par Davos.

On peut penser aux Pussy Riot, ce groupe russe qui a défrayé la chronique récemment, aux femmes indiennes se mobilisant et manifestant après le scandale provoqué par le viol collectif d'une jeune femme, à New Delhy, en décembre 2012, morte 13 jours plus tard.

On peut penser à l'appel à célébrer la féminité qui est devenu un mouvement international appelé One Billion Rising (un milliard debout) correspondant au nombre de femmes violées et, ou, battues, chaque année dans le monde (une femme sur trois).

On peut penser à la Guérilla Rose japonaise, aux insoumises, à ce milliard de femmes en marche, à ce nouveau champ de bataille mondial qui s'étend des Etats-Unis, à l'Inde, la Chine, la France, l'Afghanistan,etc.

À Aliaa Magda Elmahdy, utilisant son corps comme outil de résistance contre la Charia.

On peut aussi penser à une autre actualité, celle des événements aussi complexes que récents survenus au Mali.

Autant d'éléments, de lignes, de possibilités que je souhaite rendre sensibles dans le travail, la représentation, et qui éveillent chez moi une urgence à mettre en scène le texte de Roland Fichet.

Gildas Milin