Génétique : chapitre 2 du Livre 1

Chez Villiers :

PHONOGRAPH'S PAPA

Bien que son visage aux tempes grisonnantes donne toujours l’idée d’un enfant éternel, Edison est un passant de l’école sceptique. Il n’invente, dit-il, que comme le blé pousse.

Froid et se rappelant des débuts amers, il a le sourire chèrement payé de ceux dont la seule présence dit au prochain : « ― Deviens, je suis. » ― Positif, il n’estime les théories les plus spécieuses qu’une fois dûment incarnées dans le fait. « Humanitaire », il tire plus de fierté de ses labeurs que de son génie. Sagace, toutefois, lorsqu’il se compare, il désespère d’être dupe. Sa manie favorite consiste à se croire un ignorant, par une sorte de fatuité légitime.

De là cette simplicité d’accueil et ce voile de franchise rude, ― parfois, même, d’apparence familière ― dont il enveloppe la glace réelle de sa pensée. L’homme de génie avéré, qui eut l’honneur d’être pauvre, évalue toujours, d’un coup d’œil, le passant qui lui parle. Il sait peser au carat les mobiles secrets de l’admiration, en nettifier la probité et la qualité, en déterminer le degré sincère, jusqu’à des approximations infinitésimales. Et le tout à l’éternel insu de l’interlocuteur.

Ayant prouvé de quel ingénieux bon sens il est doué, le grand électricien pense avoir conquis le droit de plaisanter, fût-ce vis-à-vis de lui-même, en ses privées méditations. Là, comme on aiguise un couteau sur une pierre, il affile son esprit scientifique sur de durs sarcasmes dont les étincelles pleuvent jusque sur ses propres découvertes. Bref, il feint de tirer sur ses troupes ; mais ce n’est le plus souvent qu’à poudre et pour les aguerrir.

Donc, victime volontaire des charmes de cette pénétrante soirée, Edison, se sentant en humeur de récréation, savourait paisiblement l’excellente fumée de son havane sans se refuser à la poésie de l’heure et de la solitude, de cette chère solitude que le propre des sots est de redouter.

Comme un simple mortel, il s’abandonnait même, par délassement, à toutes sortes de réflexions fantaisistes et bizarres.

 

Chez nous [version Kurzweil] :

TRANSHUMANISM'S POPE

Bien que sa calvitie ne soit que partielle, et bien qu’il fasse clairement un peu moins que ses soixante-huit ans, cela ne suffit pas à rassurer Ray. Le temps passe, et les paris qu’il a pris sur la vie et la mort peuvent à tout moment arriver à échéance.

Sa situation est au-delà de ce qu’il aurait pu espérer lorsqu’il était jeune, mais cela ne suffit plus, maintenant que la vie éternelle est à sa portée, la vie humaine n’est qu’un fardeau, une compagne dangereuse : tant qu’elle ne sera pas éternelle, elle demeurera pour lui chétive et amoindrie, suspecte et ennuyeuse.

Mais le stress est une oxydation, et c’est là son pire ennemi, il le sait, aussi la seule anxiété qu’il tolère est-elle celle qui lui fait redouter le stress lui-même. Voir poindre l’anxiété est sa pire angoisse, qu’il chasse par de très réguliers exercices de Yoga, seul ou en compagnie de l’un de ses deux coachs.

Donc, victime volontaire de ses exercices permanents, condamné à la bonne humeur, Ray s’essayait à des positions difficiles et inaccessibles aux gens de son âge, et son âme vaquait.

Comme un simple mortel, il s’abandonnait même, par délassement, à toutes sortes de réflexions fantaisistes et bizarres.

 

Chez nous [version Musk] :

HYPERLOOP'S PAPA

Bien que son visage de super héros donne de lui l’idée d’un enfant éternel, Musk est un entrepreneur sérieux. Il n’invente, dit-il, que ce qu’il peut toucher. Froid et se rappelant des débuts amers, il a le sourire chèrement payé de ceux dont la seule présence dit au prochain : «  ― Deviens, je suis. » ― Positif, il n’estime les théories les plus spécieuses qu’une fois dûment incarnées dans le fait. Pourtant aujourd’hui un regard par la fenêtre de l’appartement le trouble : le rouge si vivant des feuilles d’érable est−il réel ? Ce matin, il a travaillé sur Hyperloop, ce moyen de transport unique au monde qui permettra d’envoyer des passagers dans des bulles sous pression à des vitesses extraordinaires à travers les états-unis, et les ingénieurs ont suggéré de placer des écrans individuels en lieu et place des fenêtres, qui de toute façon ne permettront pas de voir au-dehors.

Lui qui ne jure que par le concret — sauf, bien sûr, quand il s’agit d’argent — n’est pas à l’aise avec cette idée de virtualité. Il tient à garder l’image d’un créateur ancré dans le réel, un entrepreneur du concret, celui qui produit des voitures, des panneaux solaires, des vaisseaux spatiaux. Hyperloop est solide, matériel, industriel, et l’expérience des voyageurs devra être aussi physique qu’un tour dans le Space Mountain de Dysneyland. Que les voyageurs soient mis face à des écrans au lieu de contempler le monde qu’ils traversent, il ne sait pas encore s’il devra s’y résigner.

Songeant à cette époque virtuelle au sein de laquelle il transporte les corps réels, il s’amuse de ce double je : « J’aime les jeux vidéos, j’aime la science fiction et la réalité virtuelle, pense-t-il, mais j’aime autant, voir plus, m’asseoir dans une voiture extraordinaire, ou dans un des vaisseaux spatiaux de mon invention. Le virtuel est pour les autres. Moi je finirai ma vie sur Mars. »

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