Ce spectacle est triste et mélancolique. J’ai assisté à la première représentation à Pordic vendredi 18 octobre 2013. Je connais l’actrice, je connais le texte.

Introduction, un plan séquence dans un train qui démarre de Saint-Brieuc jusqu’à… un autre plan d’une barque sur l’eau, qui vogue au rythme de l’eau. Le décor est installé, le rythme aussi.

L’actrice entre en scène, toujours difficile la transition vidéo/son à humain, c’est un virage à prendre ; cela restera toujours un mystère neurologique, mais la lobotomie captivante d’un son et image, la perfection de son cadre et de son rythme, de sa représentation du réel, font passer les êtres humains, de chair et d’os, pour des animaux maladroits assoiffées de non-vérités. Et jusqu’à la fin cette transition sera compliquée, trop technique peut-être, mais comment trouver de la sensibilité pour placer un écran, je n’ai pas la réponse et j’ai été aussi confronté au problème.

Monique en place, elle tente de reprendre le cadre imposé par la vidéo initiale, avec succès. Elle va nous conter à l’échelle d’un petit plateau de théâtre son voyage entre la Bretagne et l’Espagne, comme une lionne en captivité qui raconterait son voyage du coin droit de la cage au coin gauche de la cage. On étouffe, on souffre pour elle. On lui souhaite tellement de s’échapper de sa condition, dure condition, de femme abandonnée, seule, épluchant frénétiquement les oignons de la tragédie.

Elle va essayer de nous faire rire (Denise ?), mais sur moi ça ne prend pas. C’est trop triste, et quelqu’un de triste qui essaie de me faire rire, ben ça me ferait presque pleurer. Elle va essayer de s’occuper Denise, en partant, voilà, ce sera le départ, le grand mouvement de ma vie. À Saint-Sébastien. Mais Saint-Sébastien résonne comme l’enfer. Et même une voix commence à parler à travers elle, là-bas. Est-elle possédée ? Etait-ce cela qu’elle veut évacuer, cet occupant indésiré, la chose en elle, la chose qui la ferait parler ?

L’auteur, interviewer, le public ?

Nos yeux deviennent une caméra sensationnelle qui capterait la misère du monde empaquetée dans le pathologique sketch à musique, et qui enverrait au cerveau une seule information : "Regarde, toi, c’est quand même mieux, alors ne te plains pas et continue d’alimenter ce système, sinon, regarde ce qui t’attends." ? Vite fermer les yeux.

Je me souviens d’Au-Delà de Gabily, texte résultant d’un voyage de l'écrivain avec des personnes sans domiciles fixes sans emplois, je me souviens de frénésies, de chants, de rites, où on entre en transe et danse, en se frottant les parties génitales, et en faisant des prédictions, des incantations, où les êtres sont des voyants, des prophètes, des visionnaires, il y a de l’emphase, un tourbillon de vie. C’était aussi un voyage en un territoire fermé, ils étaient aussi exclus de la société, mais au contraire j’ai le souvenir d’une forme protéiforme de vies ébouriffantes.

Ces images me viennent en regardant Monique, inquiétante, articulée/désarticulée, dans ses yeux d’où échappe le désir de vivre, dans sa voix organique, dans son corps tentant de traverser l’espace trop étroit dans lequel on l’oblige à vivre, le cadre. Le cadre est partout ici. Oppressant. J’avais presque envie sur l’image finale, que son corps allongé disparaisse dans le sol, comme pour me rassurer qu’on pouvait quand même s’échapper. La fuite en arrière de ce corps allongé ne suffisait pas à satisfaire mon imaginaire. L’infini était impossible ici. Ce spectacle était triste et mélancolique.

Émouvant.

Damien Gabriac