Newsletter Anatomies
 
   
#3 NEWSLETTER  10 AVRIL 2008
« Anatomies 2008 / Brazzaville – St-Brieuc » est un spectacle du Théâtre de Folle Pensée, compagnie conventionnée, St-Brieuc, écrit et mis en scène par Roland Fichet en collaboration avec le chorégraphe Orchy Nzaba, compagnie Li-Sangha, Brazzaville.

// BRAZZACUT #3 // CE QUI M'ARRÊTE #3 // CORPS DANS LA POUSSIÈRE // ENTRETIEN AVEC STHYK BALOSSA // LES DANSEURS NAGENT-ILS ? // CHRONIQUE DES RÉPÉTITIONS #3 // CHER ALEXIS // ÊTRE MARIÉE //

TROIS SUR DIX ET DEUX PREMIÈRES

Troisième livraison de la Newsletter Anatomies 2008. Elle paraît le jour de l'ouverture à Brazzaville du Festival Makinu Bantu et de la création du spectacle « Anatomies 2008 / Brazzaville - Saint-Brieuc » à 19h au Centre culturel français de Brazzaville.

[« On est déjà quelque chose. Oza nani yo ? Moi ? Oui, yo. »]

Auparavant, les 4 et 5 avril, le spectacle « Corps dans les cours » a été créé dans deux cours de Brazzaville, celle où a grandi Sthyk Balossa, acteur/danseur du spectacle, dans le quartier de Bacongo, et celle de l'Hôpital de Kinsoundia. « Corps dans les cours » sera joué à nouveau, du 11 au 18 avril, dans huit autres lieux de Brazzaville.

Vous pouvez consulter « Brazzacut », anatomie poétique de Brazzaville en dix livraisons, sur le serveur du Théâtre de Folle Pensée en cliquant ici.

 CUT #3 – BRAZZAVILLE 
 « Ose, qu'il me répétait, qu'il me serinait, ose ! ose tout. » (Anatomies 2008 / Ça
 mon corps / Chien
)

CE QUI M'ARRÊTE #3   

Le lundi 3 mars 2008, dans le Terminal 2C de l'aéroport Roissy Charles de Gaulle, j'essaie de distinguer le visage des pilotes à travers les vitres fumées inclinées du cockpit de l'A330.

[« Tu crois que ça me dérange. O mikosi. »]

Au pied de l'avion s'arrête une fourgonnette de la gendarmerie nationale. Encadré d'hommes en bleu, un noir en descend. Menotté. Discussions sur le tarmac entre ces gendarmes et ce jeune homme. J'essaie d'imaginer ce qu'ils se disent. Attente. Au bout de cinq minutes, le jeune homme remonte dans la fourgonnette, ils repartent.

Il m'arrive souvent de connecter la fourgonnette de Roissy sous la pluie avec des visages croisés dans la chaleur de Brazzaville. Au détour d'une rue de Brazza, aurais-je reconnu ce jeune homme de Roissy s'il avait été expulsé sur le même vol que nous ?

Alexandre Koutchevsky

CORPS DANS LA POUSSIÈRE    

et si le jeu était dans le regard de lautre ?

Et la voix, l'individu trempé de désir,

la quête de l'évasion, avec les corps difformes, multiformes, plateformes, intraformes, qui explosent au-delà des lignes,

et se nouent dans l'invasion des regards,

je vous dis c'était vendredi 17h, pas ailleurs, la rue Archambault, Bacongo, dans une cour, le soleil s'en allait déjà mais ses rayons ardents nous habitaient, sifflés par le regard de l'intrus, nous contemplons le sens de l'art s'initier dans les vertèbres de nos statures pour désavouer l'impromptue, l'inattendue ont raison de s'inviter, comme si nous devenions peu à peu la geste soukoussée de Roland Fichet.

Il n'est pas ordinaire de voir dans nos cours de maisons une troupe d'intrigants personnages comédiens, danseurs et auteurs et techniciens prendre en otage nos habitudes salaces pour les transformer en un partage artistique, le temps de négocier un impact.

Ah ! les ancêtres, pour faire corps dans les cours de Brazzaville, ils ont choisi la gorge ! Demandez à Flora Diguet qui avec ses yeux a vomi la colère de la zone dans un « Bahonda kwa ! Kabena ba beto ko ! », demandez à Sthyk, petit pied gris qui s'agite, parce que, nom d'un fils de mama, pour dire je t'aime il faut beaucoup de talent, vous le savez. Et c'est comme ça que le théâtre et la danse contemporaine se sont moulés dans les tubes organiques de ses machines de scène libérées par les ancêtres, à la gorge, après une si longue grippe, parce que c'est la saison au Congo, vous êtes au courant. Ben, si Makinu n'était pas les gens, qu'est-ce que je fais là ? On a besoin des gens et c'est pour ça que Roland et ses anges sont partis à Bacongo.

Dieudonné Niangouna

ENTRETIEN AVEC STHYK BALOSSA    

Cet entretien a été réalisé le 3 avril. Le lendemain, nous jouons la première de « Corps dans les cours », au 114 rue Archambault, quartier Bacongo, dans la cour où Sthyk a grandi. Nous y sommes accueillis par sa famille, ses amis, les habitants du quartier.

ANATOMIE D'UN NOM

Je m'appelle Christel Nodary Balossa Nganga. À l'époque où j'ai pris le nom de Sthyk j'étais dans le rap, le hip-hop. Je trouvais que s'appeler Christel ne correspondait pas trop à ce milieu. Or, j'avais un ami qu'on appelait Scottie, en référence au joueur de basket Scottie Pippen, car cet ami avait une bonne détente. Je me suis dit qu'il fallait que je me crée un autre personnage, un nom d'artiste, j'ai choisi Sthyk. Scottie et Sthyk ça faisait un peu comme deux partenaires. Ça vient de « stick », en anglais, qui signifie « coller ».

En 1994 le Sthyk est né. J'ai changé les lettres pour me détacher du stick baume à lèvres, des stickers, comme ça les gens se demandent un peu d'où ça sort. Le nom a pris sa force jusqu'à aujourd'hui. Pour moi, Sthyk c'est une chose qui est accrochée à une autre, qui colle. Je me colle un peu à tout ce que je croise, tout ce que je suis. Le Sthyk est vraiment né dans la musique, le rap, mais en même temps qu'on chantait on faisait des chorégraphies, c'était toujours lié. Quand j'ai évolué plus franchement vers la danse je n'ai pas pensé une seule seconde à changer le Sthyk, c'était mon nom d'artiste.

PARCOURS

Je connais Orchy (Nzaba)* et travaille avec lui depuis 1994. Il faisait partie d'un groupe de musique avec mon cousin. On s'est vraiment centré sur la danse au moment de la création des ateliers de recherche chorégraphique. En 2004, le directeur du CCF à l'époque, Christian Burgué, nous a vus chanter et danser, il était étonné par l'énergie que nous mettions à lier les deux. Il nous a invités à explorer et approfondir notre côté danseur. Orchy lui a donc proposé les ateliers de recherche chorégraphique.

Dans ce cadre on a fait quelques stages, notamment avec Paco Dècina, la compagnie Corps et âme, Julie Dossavi… Puis j'ai travaillé avec le metteur en scène Alain Gintzburger. En 2006 on a eu le prix RFI pour le spectacle Monamambou. Après le prix on a fait une tournée internationale, en Europe, aux États-Unis, en Corée.

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LES DEUX HORIZONS : DANSE ET THÉÂTRE

Dans les premiers travaux avec Roland Fichet, il y a deux ans, en compagnie de Byb et Au Carré**, on avait fait Le sexe de Dieu***. On n'avait encore jamais travaillé de cette façon, le principe des gammes gestuelles et sonores nous était inconnu, mais dans Monamambou il y avait déjà beaucoup de paroles, du slam. Du coup l'apprentissage de ces gammes faisait écho à notre pratique.

Les gammes sont assez déroutantes au début. Le metteur en scène enlève des morceaux, des propositions que tu fais, c'est déstabilisant, mais avec le temps on comprend et accepte cette règle du jeu : on apporte la matière et le metteur en scène coupe, choisit.

Anatomies 2008 n'est pas un projet facile justement parce que la danse et le théâtre se croisent. Je ne suis pas comédien bien que j'aie beaucoup travaillé la diction et le texte dans le rap et le slam. Ma peur vient plutôt du croisement des deux horizons : danse, théâtre. Parfois ces deux horizons ne marchent pas du tout ensemble, se rencontrent mal dans un spectacle. Mais cette peur permet d'avancer, avec ses petites faillites.

Les mots « danse » et « théâtre » nous emprisonnent un peu. Un bébé de six mois danse et parle, il fait des gammes déjà. Quand on préparait des gammes avec Flora (Diguet)**** pour le texte L'ancêtre dans la gorge*****, on ne savait pas trop si ce qu'on faisait allait dans la bonne direction. Mais ça produit quelque chose quand même, qu'on affine ou efface ensuite. Avec Flora, on ne s'est pas fixé de limites, on s'est dit : on ose. Le travail sur le texte avec elle a réveillé en moi un côté que j'avais un peu délaissé depuis quelques années. J'y ai pris beaucoup de plaisir.

Les moments dansés sans texte à dire doivent nous emporter avec autant d'intensité que ces moments où texte et danse sont liés par les gammes gestuelles et sonores. Par exemple, quand on finit le texte des ancêtres avec Flora, il faut garder l'esprit et l'attitude de cette séquence parlée/dansée pour enchaîner la suivante : la danse des ancêtres, où il n'y a plus de texte. À ce moment, il faudrait que le spectateur ait vraiment l'impression que ce sont les ancêtres dont on a parlé dans la séquence précédente qui sont en train de danser, sinon c'est de la simple exhibition.

On crée du mouvement par rapport à ce qu'on entend. Ainsi, à plusieurs moments du spectacle, beaucoup des mouvements que je propose sont inventés à partir du texte des ancêtres. Ce qui est dur pour nous c'est de ne pas danser. On a beaucoup de danse en nous. Quand tu le malaxes bien, le texte t'emporte dans son rythme, tu es pris par la dimension musicale de l'écriture et ça déclenche généralement un petit mouvement dans ton corps. On peut dire le texte et créer le mouvement après, mais l'inverse est possible comme on l'a fait au début des répétitions.

Propos recueillis par Alexandre Koutchevsky

* Chorégraphe de Li-Sangha.
** Danseurs de la compagnie Li-Sangha, également présents dans Anatomies 2008.
*** Court texte de Roland Fichet.
**** Actrice du spectacle Anatomies 2008.
***** [+] voir Newsletter #2 (fiction).

LES DANSEURS NAGENT-ILS ?   

Ils dansent. Ils connaissent leur corps mieux que personne et savent exactement ce que représente un geste. Corps d'exploits. Ils ont ce feu intérieur, cette intensité, qui les portent sur le plateau. Ils dansent mais ils ne savent pas nager. À Maty je découvre cela avec stupeur. Tous, ils ont peur du moindre courant, peur de perdre pied. Je pensais que leur corps n'avait peur de rien. En Afrique, quand tu vis en ville, tu n'apprends pas à nager. Soudain je découvre ces corps autrement, corps qui refusent, se recroquevillent, se protègent. Ce que mon corps ne sait pas l'effraie.

[« C'est un aveu un secret entre yo na ngaï. »]

Ce qui me surprend encore plus, ce sont leurs rires gênés ou excités quand ils sont dans l'eau. Se voir dans l'eau. Certains rampent, d'autres improvisent une nage intuitive. Au Carré perd sa force tranquille et tend une main désespérée vers Damien. Princia s'accroche à mon cou et crie quand nous n'avons plus pied. Ces moments de première fois, de peur dépassée, nous rapprochent. Les Français s'improvisent maîtres-nageurs, nous enseignons quelques mouvements de brasse, réinventant la perche à l'aide d'une longue branche de manguier.

De retour sur terre les forces s'égalisent. Comme Damien et moi face à la danse, ils nous ont offert leur tremblement face à la nage.

Flora Diguet

CHRONIQUE DES RÉPÉTITIONS #3   

Je trouve une fleur le long d'un chemin. Elle me plaît, je la cueille, la rapporte chez moi, la mets dans un vase, la regarde, tristesse me saisit : ce n'est plus la même fleur que celle qui m'avait séduit le long du chemin. J'ai arraché la fleur à son paysage, je l'ai coupée de son horizon.

[« Ekélamu ! Tu es sa créature. »]

Ce que j'aimais chez la fleur ce n'était pas seulement sa tige, ses pétales, ses couleurs, son odeur, c'était son inscription dans un paysage. Ce qui me touchait c'était la fleur articulée au chemin, la fleur comme instant de ma promenade, la fleur couleur parmi les herbes vertes, la fleur balancée par le vent, visitée par l'abeille, la fleur vivante dans son paysage. Ce qui me touchait dans la fleur n'appartenait pas qu'à la fleur, c'était une série de rapports entre la fleur et son paysage.

LA SÉQUENCE DANS SON PAYSAGE

Dans Anatomies 2008, l'utilisation de la notion de paysage découle d'un choix radical posé très tôt par le metteur en scène : tous les interprètes sont sur le plateau du début à la fin du spectacle, il n'y a pas de coulisses, les changements de costumes se font à vue, ou légèrement masqués.

Par ailleurs, la première partie des répétitions ayant consisté à travailler par couples diverses séquences à partir de propositions de gammes gestuelles*, puis à insérer les textes dans ces trames corporelles, il a fallu penser assez vite les enchaînements de ces divers morceaux.

À chaque séquence, les interprètes se trouvaient séparés en deux groupes : ceux qui jouaient la séquence et ceux qui, hors-jeu mais sur le plateau, s'y trouvaient aussi mais sans que leur place ait été anticipée. Par conséquent, la question de leur mode de présence nous a poussés à utiliser la notion de paysage.

Il est donc possible, ainsi que poétiquement et théâtralement stimulant, de penser les textes et les corps dans leur paysage. Disons que chaque séquence [texte dit] + [corps en mouvement] = [la fleur]. Par exemple, si l'on peut identifier la séquence Être mariée** (la fleur), quel est alors le paysage d'Être mariée ?

[« J'en ai présenté misato à mon papa et à ma maman. »]

Ce sont les questions que nous nous posons dans ces dernières semaines de répétition. Nous cherchons à inventer et faire vivre les paysages des séquences. Comment organiser ce qui se passe sur la scène tout autour de Princia Biyela quand elle joue Être mariée ? Les autres interprètes peuvent animer l'arrière-plan, créer des images en point de fuite, composer l'image scénique.

Toutefois, les rapports entre la séquence et son paysage ne doivent pas être pensés uniquement en termes d'espace, de profondeur, de composition visuelle. La notion de paysage est beaucoup plus vaste : celui-ci peut par exemple posséder également une dimension sonore, le paysage parle ou fait du bruit. Le paysage d'Être mariée pourrait ainsi se constituer de percées vocales (reprises de mots, sons, phrases, par les six interprètes qui ne jouent pas directement la séquence).

Le paysage d'une séquence doit offrir des lignes de fuite imaginaires, de légères perturbations du sens, sans pour autant empêcher que nous parvienne clairement la séquence interprétée.

Alexandre Koutchevsky

* [+] voir Newsletter #1 (chronique des répétitions).
** Être mariée est joué par Princia Biyela.

LETTRES DE BRAZZAVILLE   

Lettre n°3, adressée à Alexis Fichet,
auteur, metteur en scène ; collectif Lumière d'août, Rennes.

Cher Alexis,

Le singe c'est bon. Damien prétend que le goût de la chair du singe rappelle le goût de la chair humaine. Samedi et dimanche dernier à Maty, nous avons mangé tout un singe. Et cette nuit j'ai rêvé de tigres.

C'est à toi, naturellement, que j'ai envie de raconter ces histoires. Aujourd'hui, 29 mars, tu présentes ta création Plomb laurier crabe chez Marie-Pia Bureau à la Roche-sur-Yon en Vendée. À Brazzaville je pense à ce que tu écris, à ce tourment qui nous est commun, ce tourment qui a nom animal. Hé oui, entre l'homme et l'animal la faille ne cesse de s'agrandir et ça empoisonne. Le Ça en est empoisonné. Tu le dis, tu le mets en jeu, tu arpentes ce déchirement…

Ici, au Congo, l'animal me cherche. Je l'espérais. Je ne suis pas déçu. Vendredi dernier, les douze personnes embarquées dans ces Anatomies 2008 ont pris le chemin de Maty, un village situé à 45 kilomètres de Brazza, niché dans la brousse, au fond d'un vallon, un village tout en longueur traversé par une rivière qui porte aussi ce nom : Maty. De ce village je t'ai déjà parlé. Je le connais bien.

Les sept derniers kilomètres nous les avons parcourus à pied. Déposés à l'endroit où commence le chemin de terre, nous sommes descendus vers le village le nez dans les herbes et les yeux sur les collines. Après nous être égarés dans un entrelacs de bois et de taillis, nous avons aperçu les premières chaumières.

Et là un singe. Un singe, oui. À peine mettions-nous un pied dans le village qu'un singe nous faisait signe. Un singe mort. Porté par un chasseur qui venait de le tuer dans la forêt. Première rencontre à la lisière du village : deux chasseurs et un singe. J'ai regardé de près la gueule ensanglantée du singe attaché par une cordelette et un morceau de bois à l'épaule du chasseur. Étonnement. Gêne devant la bête tuée, devant la cruauté tranquille de l'homme. Photos. J'ai proposé aux deux chasseurs de venir boire une bière dans la cour de la cabane-bistrot-épicerie bleue dressée juste à l'entrée de Maty. Les chasseurs ont suspendu le singe mort à un arbre. Des enfants en nombre se sont approchés de la bête. Au milieu d'eux j'ai été saisi par la couleur des couilles de l'animal. Des couilles surréelles : deux petites balles d'un bleu intense, pictural.

Jean-Marie Ntétélé, un de mes amis de Maty, a acheté le singe aux chasseurs. Betty Tembo et une des deux femmes de Jean-Marie, Edwige, l'ont longuement préparé. Le samedi soir nous avons mangé le singe au bord de la rivière. Le dimanche de Pâques, dès sept heures du matin, après une nuit à la belle étoile, nous avons dégusté les derniers morceaux de notre ancêtre.

Que me raconte ce singe ? Après ce petit-déjeuner singivore, je suis entré dans le courant de la rivière (à certains endroits assez puissant) et j'ai nagé. Grâce à lui je sentais un peu plus ma propre épaisseur, mon propre mystère, mon équivocité (ne suis-je pas venu ici pour ça ?). L'animal c'est l'endroit où l'homme est coincé.

La veille, Joseph Ntétélé avait invoqué en notre présence les esprits de la nature mais c'est surtout à Kafka que je pensais. Dès le deuxième jour des répétitions, j'ai lu aux interprètes d'Anatomies 2008 quelques fragments de textes de Kafka. La figure que met en scène la nouvelle Un rapport pour une académie, c'est justement un singe, un chimpanzé humanisé. Kafka aime fouiner de ce côté-là : l'être-animal. Parmi les observations de Pierre Pachet dans un article intitulé « La communauté des hommes et des bêtes » (Europe, mars 2006), je t'en propose deux qui te parleront sans doute autant qu'à moi :

1 – « L'art du récit chez Kafka semble reposer sur sa perception de tout ce qui, dans la gestuelle humaine, établit un contact avec la gestuelle animale, sa grâce, ses mouvements minutieux, imprévisibles, avides, immoraux et qui nous touchent comme latéralement. »

2 – « Être transformé en animal ou se faire animal, c'est renoncer à ce qu'on croyait savoir, bénéficier d'une naïveté curieuse et comme ouverte de tous côtés. »

Qu'en penses-tu ?

C'est assez pour aujourd'hui. Je te parlerai des tigres qui sont aussi venus me rendre visite un autre jour. Les autres m'attendent : aujourd'hui c'est aussi l'anniversaire d'Alexandre (30 ans !) et nous allons fêter ça à Bacongo.

Je t'embrasse.

Ton père.

Samedi 29 mars 2008.

ÊTRE MARIÉE   
Ah oui pour ça oui ça fait drôle, je dirais même bizarre.
D'être mariée.
Je ne m'y ferai pas. Toutes disent on s'y fait mais moi pas.
Je le sens je ne m'y ferai pas.
Jamais.
Même l'idée que j'ai franchi le pas, que j'ai dit oui, j'ai du mal,
ça me reste en travers,
j'y crois pas.
Je dis ça aux autres : j'y crois pas, comment j'ai pu…
On est toutes passées par là elles répondent, on s'y fait, on oublie.
On oublie quoi ?
C'est vrai qu'on oublie ? On oublie quoi ?
Bizarre, mais c'est vrai, je le sens, on oublie.
D'où on vient, déjà on oublie ça, on oublie
d'où on vient, d'où on vient on l'oublie
et même qu'on est une femme.
Ça va jusque-là, j'en suis sûre.
Qu'on est une femme, on l'oublie.
Quelle conne je suis d'avoir dit oui
surtout à cet homme-là, quelle conne !
Ah oui pour ça oui je suis une sacrée conne.
Que faire que faire ?
quelle conne ! Ah oui pour ça oui je suis une sacrée conne.
Que faire que faire ? Faut que je le tue. Je vois que ça. Faut que je le tue.

Princia Biyela. – Princia. Biyela. Mon père m'a appris à frapper
avec les doigts. Je suis habile des doigts grâce à mon père.

(Roland Fichet, Anatomies 2008 – Ça mon corps)

[+] cliquez ici pour lire ce texte sur le site de l'auteur, rolandfichet.com…

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