Newsletter Anatomies
 
   
#5 NEWSLETTER  16 MAI 2008
« Anatomies 2008 / Brazzaville – St-Brieuc » est un spectacle du Théâtre de Folle Pensée, compagnie conventionnée, St-Brieuc, écrit et mis en scène par Roland Fichet en collaboration avec le chorégraphe Orchy Nzaba, compagnie Li-Sangha, Brazzaville.

// BRAZZACUT #5 // CE QUI M'ARRÊTE #5 // ENTRETIEN AVEC AUCARRÉ // LA SEMAINE AFRICAINE // JE T'AIME //

CINQ SUR DIX AU SEPT BIS

Cinquième livraison de la Newsletter Anatomies 2008. Les deux équipes, la Compagnie Li-Sangha et le Théâtre de Folle Pensée, ont quitté Brazzaville pour rejoindre Saint-Brieuc. Nouvelle période de répétition, au 7bis d'abord, salle de répétition mise à notre disposition par la Compagnie Fiat lux, puis, à partir du 19 mai, à La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc, où aura lieu la création française les 27, 28 et 29 mai 2008.

Vous pouvez consulter « Brazzacut », anatomie poétique de Brazzaville en dix livraisons, sur le serveur du Théâtre de Folle Pensée en cliquant ici.

 CUT #5 – BRAZZAVILLE 
 « Je n'aime pas que tu me tripotes le bas  » (Anatomies 2008 / Ça mon corps /
 C'est bête
)

CE QUI M'ARRÊTE #5   

Il est près de minuit et demi ce soir-là à Rennes, devant une station de métro. Je raconte mon voyage au Congo à un ami. Autour de nous des gars un peu allumés, qui braillent et boivent. Ils nous entourent soudain. L’un d’entre eux s’approche tout près de moi : vas-y continue à parler, continue à parler ou je te tape. Il fait mine de me frapper, mollement. Il titube. Qu’est-ce que tu racontais hein qu’est-ce que tu racontais ? Je racontais mon voyage à Brazzaville.
T’es allé là-bas toi ? Oui, il y a une semaine j’y étais encore.
De tituber il stoppe un instant et sort une phrase dans une langue que je ne comprends pas. Excuse-moi je réponds, je connais à peine quelques mots de Lari et de Lingala.
Je ne sais pas du tout si les mots qu’il vient d’employer viennent de l’une ou l’autre de ces langues parlées au Congo.
Il ne titube plus d’un poil, stupéfait. Tombe dans mes bras. M’enlace, m’embrasse, se retourne vers sa bande, décrit dans l’air des petits cercles alcoolisés avec ses doigts : les gars, lui, personne le touche, c’est compris ? si y’en a un seul qui le touche il aura affaire à moi, c’est clair ? c’est mon pote lui, il est allé à Brazza.
Et toi tu es d’où ? je demande. Du Rwanda.

Alexandre Koutchevsky

Aucarré Wankazi Rudolf Ikoli, danseur/acteur
© Jimmy L'Américain

ENTRETIEN AVEC AUCARRÉ    

C’est la nuit. Sur une terrasse en bois au bord de la mer, il fait doux. Rudolf Ulitch fume quelques cigarettes sous sa veste en laine.

ANATOMIE D'UN NOM

Je m’appelle Rudolf Ulitch Ikoli Nkazi. Ikoli c’est le nom de mon père, Nkazi celui de mon arrière-grand-père, Rudolf Ulitch je ne sais pas d’où ça vient, et je n’ai jamais demandé à mon père. C’est étonnant car quand j’étais à l’école j’ai appris un peu de russe, mais je ne sais pas pourquoi on m’a prénommé Ulitch. Aucarré c’est un nom que je porte depuis ma naissance. Mes frères et sœurs m’ont appelé ainsi car je ressemblais énormément à mon père. En mathématiques, le nombre qui est élevé au carré ressemble à sa racine, mais n’est pas tout à fait pareil. Quand j’étais enfant ce nom ne me plaisait pas du tout, il provoquait des moqueries à l’école. Aujourd’hui j’ai trente et un an et demi. Je dis « et demi » car je suis né en décembre. Le fait d’être né deux semaines avant une nouvelle année ne m’a pas avantagé non plus à l’école, c’est pourquoi je précise « et demi ». J’ai assumé le nom de Aucarré quand j’ai commencé à faire du hip hop puis du rap.

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Damien Gabriac, acteur/danseur
© Jimmy L'Américain
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PARCOURS

Dans le hip hop je ne faisais que de la danse, pas de musique ni de texte. Mais comme je m’intéressais aussi au jazz et à la danse classique je suis allé au CCF*, qui était le seul endroit pour apprendre ces choses. Au départ je ne voulais pas y aller car il y a beaucoup de longs bics au CCF. Les longs bics ce sont les intellectuels. Le bic c’est la première marque de stylo qui est arrivée chez nous, du coup nous appelons « bic » tous les stylos. Les « longs bics » ce sont les gens qui lisent et parlent beaucoup, longtemps.

Au CCF j’ai participé aux ateliers de recherche chorégraphique qu’animait Orchy [Nzaba]** notamment. J’ai rencontré Roland Fichet après les rencontres chorégraphiques où nous avons joué le spectacle Monamambou avec Orchy et les autres danseurs. J’étais dans son premier atelier mais au bout d’un moment je suis parti car il y avait trop de longs bics. Je me disais : je ne suis pas comédien, je suis danseur. J’ai un défaut : je n’aime pas beaucoup lire. Je ne sais pas trop pourquoi. Je préfère me nourrir en parlant avec les gens. Pourtant, quand Roland est venu animer un second atelier j’ai quand même voulu y participer. La semaine dernière, au début du travail à Saint-Brieuc, il y avait beaucoup de longs bics déjà tracés, mais maintenant ça va beaucoup mieux, mon esprit est plus léger, je me sens libre de proposer des choses.

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Princia Jéarbuth Hervienne Biyela, danseuse/actrice
© Jimmy L'Américain
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SENTIR POUR DIRE

Pour apprendre les textes de Roland je les ai lus plusieurs fois à haute voix, sans savoir si ça rentrait ou pas. Si je ne comprends pas ce que je lis je ne peux pas l’apprendre. Par exemple, dans le texte Crêpes Suzette, que j’ai appris à Brazza, il y avait le mot « gnôle », et je ne savais pas ce que c’était. D’ailleurs Roland a senti que c’était obscur pour moi puisqu’il a coupé ce passage. Maintenant que j’en ai bu ici j’ai compris. Je dois boire la gnôle pour la comprendre. Pour dire les choses correctement j’ai besoin de les sentir, de les vivre.

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Chanel Boungouandza Bibene et Sthyk Balossa, danseurs/acteurs
© Jimmy L'Américain
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À Brazzaville ce qui m’a plu dans le travail c’est le fait que nous étions libres de proposer des choses, tout le monde était ouvert et disponible. Ce que j’aime dans le théâtre c’est qu’il me permet de délirer sur scène avec les paroles. Dans le travail sur Anatomies c’est ça qui me plaît, et c’est quelque chose que je ne faisais pas avant. Avant je ne disais rien sur le plateau, c’était Byb ou Sthyk*** qui parlaient. Ça marche bien avec Damien [Gabriac]**** justement parce que nous sommes tous les deux ouverts au délire, on se pousse mutuellement à proposer des choses un peu folles. Quand je travaille avec Damien, on expérimente, on ne réfléchit pas trop, on fait ce qu’on sent. C’est une méthode qui me plaît, car quand j’essaie de réfléchir avant de faire ça me bloque. Les idées me viennent dans l’instant, sur la scène, que ce soit pour danser ou dire un texte. Ainsi, dans Pour dire je t’aime que je fais avec Sthyk, quand je dis « Oui. Oui. » j’imagine que le personnage parle à une femme. Mais ce personnage qui parle – c’est plutôt une voix – nous le jouons à deux, alors j’imagine que ce peut être un esprit, il peut être mâle ou femelle, il n’a pas de sexe. Quand je suis sur la scène, j’essaie de ressentir le fond de ce texte, pour moi le « Oui. Oui. » c’est une femme qui jouit. Le « je t’aime » c’est la réponse de l’esprit mâle à l’esprit femelle. Et les « Ou : / Ou : » c’est un esprit femelle qui gémit quand il est en train de baiser. Tout ça fait aussi partie de l’anatomie et puis c’est ce que je ressens en faisant le texte. Je n’ai jamais parlé de ça à Sthyk, il ne sait pas toute cette histoire.

Ici, à Saint-Brieuc c’est parfois comme si j’étais à Brazza, je ne sens pas vraiment de différence. J’oublie que je suis en Europe, quand je marche, quand je fonctionne, c’est comme si j’étais au pays. Ce que je vois ce n’est pas pareil bien sûr, on n’a pas les mêmes routes, constructions, paysages, mais ce que je ressens n’est pas très différent. Par contre, si j’étais au pays, après cet interview je rentrerais à la maison, j’irais voir les enfants, c’est la seule différence.

* Centre culturel français.
** Chorégraphe d'Anatomies 2008.
*** Danseurs de le compagnie Li-Sangha et d'Anatomies 2008.
**** Comédien d'Anatomies 2008.

Propos recueillis par Alexandre Koutchevsky

Monique Lucas et Flora Diguet, actrices/danseuses
© Jimmy L'Américain

LA SEMAINE AFRICAINE    

Extrait d'un article de la journaliste Ifrikia Kengue Boutandou sur la création au Centre culturel français de Brazzaville du spectacle « Anatomies 2008 / Brazzaville - Saint-Brieuc » à l’ouverture des Rencontres chorégraphiques internationales de Brazzaville, Makinu Bantu, le 10 avril 2008. Cet article est paru le vendredi 25 avril 2008 dans La semaine africaine, bi-hebdomadaire d'information et d'action sociale paraissant au Congo-Brazzaville.

[…] Subtil mélange de texte et de chorégraphie, « Anatomies 2008 / Brazzaville - Saint-Brieuc » est un travail d’agencement et d’assemblage des parties du corps, où de la rythmique du texte découle la rythmique chorégraphique. Le public était nombreux, impatient et curieux de découvrir le fruit de cette oeuvre, en création pendant un mois et demi au CCF de Brazzaville. Un aperçu de ce spectacle ayant été donné dans une cour d’un quartier populaire de Brazzaville, quelques jours avant la grande première.

À la levée des rideaux, six acteurs, debout, dans un encadrement, semblent ascensionner, dans un mouvement d’ensemble. À tour de rôle, chacun des acteurs dans l’encadrement lance une phrase en lingala, reprise en choeur par les autres. « Kosimba nga… te, …bonyama ! » ce qui peut être traduit par « Ne me touche pas le sexe, …c’est ignoble ! ». Soudain, une actrice, invisible jusqu’alors, surgit sur la scène, en passant à travers un cadre recouvert de papier journal.

« Ça mon corps », intitulé de la pièce autour duquel s’articulent plusieurs actes, révèle la relation ambiguë qui existe entre les différents membres du corps humain.

L’évocation des zones érotiques positives (plus, plus, plus) et négatives (moins, moins, moins) suscitent des questions dans l’esprit. Le pied et l’estomac ne font pas l’amour et ne jouissent pas comme les seins et le sexe ; tandis que l’évocation des emboîtements, allusion aux positions sexuelles mimées à l’occasion, est révélatrice de ce que la barrière sélective essaie de réfréner au quotidien. Quand le « ça » survient dans le « moi », c’est le dévoilement de l’état d’âme dans ce déferlement d’émotions où les tabous tombent. « L’ancêtre dans la gorge » évoque cette angoissante réalité qui habite l’être humain. Ces ancêtres squatteurs qui nous poussent, inexorablement, à l’extrémisme, (génocide, tribalisme, ethnocentrisme, sectarisme…) et qui nous empêchent d’évoluer.

Le public est interpellé au cours de ces tirades quelque fois chantées ou criées. Les textes sont révélateurs de ce mal être qu’abrite l’anatomie des corps. Les phrases deviennent corporelles au cours de ces rencontres. Le corps est revisité, découpé dans un enchaînement de gestuelle. Anatomies 2008 se poursuit dans cette fluidité et cette densité artistique qui font confronter les gestes aux mots. Elle est imprégnée, d’un bout à l’autre, d’un érotisme qui saute, quelque fois, crûment aux yeux.

« Anatomies 2008 » est une sorte de psychanalyse de l’être humain que l’auteur livre au regard du public. Roland Fichet semble inviter, dans cette pièce, le public à exorciser ses vieux démons, à reconsidérer ces liens qui entravent la liberté d’exister ; ce qui est, sans doute, le propre du théâtre, ce lieu où se livrent les secrets, où tout ce qui est pensé tout bas s’écrie tout haut. […]

Ifrikia Kengue Diboutandou

Alexandre Koutchevsky, assistant mise en scène
© Jimmy L'Américain

JE T'AIME    
Pour dire je t’aime, il faut beaucoup de talent.
Il faut être très très…
Je connais plein d’hommes qui ont envie de dire je t’aime à leur femme. Oui, oui. Des hommes qui, en rentrant du boulot, le soir, ont envie de regarder tranquillement leur femme
et de lui dire : je t’aime.
Mais, ils ne le font pas, à la place ils grommellent : je suis fatigué.
Ou : qu’est-ce que tu m’as préparé à manger ?
Ou : on vit comme des sauvages dans ce trou, j’en ai marre.
Ou : t’es moche, t’es mal habillée, tu me dégoûtes.
Ou. Je vais partir, dès demain je prends l’avion pour Europe..

(Roland Fichet, Anatomies 2008 – Ça mon corps)

[+] cliquez ici pour lire ce texte sur le site de l'auteur, rolandfichet.com…

© Théâtre de Folle Pensée, compagnie conventionnée
4 rue Jouallan / BP 4315 / 22043 Saint-Brieuc cedex 2
02 96 33 62 41 – www.follepensee.com
Contact : Patrice Rabine, administrateur

Graphisme > Vincent Menu / lejardingraphique.com

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