Newsletter Anatomies
 
   
#9 NEWSLETTER  10 AVRIL 2009
« Anatomies 2009. Comment toucher ? » est un spectacle du Théâtre de Folle Pensée, compagnie conventionnée, Saint-Brieuc, écrit et mis en scène par Roland Fichet, chorégraphié par Orchy Nzaba, compagnie Li-Sangha, Brazzaville.

// CUT #10 // CE QUI M'ARRÊTE #9 // LIBREVILLE, SALLE JEAN-LOUIS BARRAULT // JOURNAL DE TOURNÉE // MON TRAVAIL M'A APPRIS, JE CROIS, À RESPECTER… // LA PREMIÈRE CHOSE QUI FRAPPE // UNE FEMME (MARILOR) //

BRAZZAVILLE, POINTE NOIRE, MALABO, LIBREVILLE,
LOMÉ, BANGUI, COTONOU…

Partie de Saint-Brieuc en deux vagues, les 8 et 11 mars 2009, l'équipe du spectacle Anatomies 2009. Comment toucher ? a déjà fait étape au Congo, en Guinée équatoriale, au Gabon, au Togo, en République centrafricaine. Elle est au Bénin au moment où vous recevez ce numéro 9 de la newsletter Anatomies.

cliquer ici pour lire les pages Anatomies sur le site du Théâtre de Folle Pensée.
cliquer ici pour lire le journal de tournée de Roland Fichet.
cliquer ici pour voir les « cuts » : anatomie poétique des villes où sont joués les spectacles Anatomies.

 CUT #10 – POINTE NOIRE 
 « En moi la mer se jette contre les rochers, claque, en moi la mer écume,
 explose ses montagnes d’eau contre la coque des bateaux, en moi la mer se
 brise. » (Anatomies 2009. Comment toucher ? / Temps 3 - Baisers / 5 - une
 femme
)

CE QUI M'ARRÊTE #9 

L'électricité passe, par nature, on l'appelle le courant. « On devrait l'appeler l'arrêtant » dit un homme, spectateur fortuit des répétitions, adossé contre la vitre du studio de danse alors que l'électricité vient d'être coupée pour la troisième fois en dix minutes. Ici, à Brazza, le courant on devrait l'appeler l'arrêtant, et dire que de temps en temps l'arrêtant se met à courir. Ou alors que le courant s'essouffle plus vite qu'ailleurs, qu'il a besoin de repos. C'est vrai qu'il fait chaud, on le comprend le courant.

Alexandre Koutchevsky

© Baudouin Mouanda

LIBREVILLE, CCF, SALLE JEAN-LOUIS BARRAULT, 31 MARS 2009 

Marie-Laure Crochant dit comment, sur la scène de la salle Jean-Louis Barrault, elle a vécu la cinquième représentation du spectacle « Anatomies 2009. Comment toucher ? » au Centre Culturel Français Saint-Exupéry de Libreville, Gabon.

UN MOOOOOOONSTRE QUI JOUIT

Plateau superbe, sans doute le plus beau qu'on aura dans cette tournée, acoustique incroyable, technique au top. Roland donne le premier coup de gong et voilà notre petit quatuor en impers qui s'installe au fond du plateau. On se concentre sur les nouvelles phrases en pounou – dialecte majoritaire parmi la cinquantaine existant au Gabon – apprises à la dernière minute avec nos six spect-acteurs. Je manque d'oublier ma tirade, « personne ne me touche le sexe » en pounou. Ouf, m'en souviens de justesse : « Ou Ha moutou ho m'bembe djongheli ». Pas de réaction. Inquiétude : Ai-je mal prononcé ? Combien comprennent le pounou dans la salle ? Aucarré aura plus de chance avec son « bufufu » (idiot) mais c'est sans doute plus une histoire de sons que de sens.

On peut améliorer le rythme du début, un peu lent et ce, malgré la belle italienne que nous avons faite juste avant de jouer à la terrasse de la cafèt' du CCF*. Comme à l'accoutumé, le duo Damien-Aucarré vient donner l'élan de cette première partie, accentué encore par sa nouvelle place, juste après l'ouverture.

La transe continue de s'assouplir. On gagne en fluidité et compréhension des textes, en légèreté aussi. Quelques rires et sourires dans la salle nous parviennent. Le travail qu'Aucarré, par exemple, a improvisé autour de son texte sur la plage du Tropicana, quelques heures auparavant, semble porter ses fruits. C'était beau de la voir crier aux vagues et aux passants que « son corps est un mooooooonstre qui jouit ».

Ce soir, les gens sont tellement à l'écoute qu'une femme termine ma phrase avant moi : « et je jouis ». Je réalise alors à quel point dire ces mots-là, « je jouis », sur un plateau, ce n'est pas rien. Des gens en rient, non par moquerie ni par gêne, mais tout simplement parce que, me semble-t-il, ils sont émus. Pour la première fois aussi je réalise que dans le texte des ancêtres, il y a le mot-titre « Anatomie ». Je l'entends comme une suite de sons qui résonnent dans tout mon corps.

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De gauche à droite : Damien Gabriac, Aucarré Wankazi Rudolf Ikoli, Princia Jéarbuth Hervienne Biyela, Marie-Laure Crochant.
© Baudouin Mouanda
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LE POIDS ET LA VIVACITÉ

La confiance et la complicité entre nous tous grandissent chaque jour. Je crois pouvoir dire à présent que j'ai, cette fois, bel et bien trouvé ma place dans l'équipe, moi, la dernière arrivée, la seule absente des Anatomies 2008. Chacun, d'ailleurs, dans l'équipe, joue de ses différences pour en faire plus des complémentarités que des oppositions. C'est très appréciable dans une tournée de cette longueur. J'apprécie beaucoup alors que nous donnions des temps – que ce soit sur le plateau, lors des échauffements, des moments de chœur, ou à l'extérieur, lors des soirées de « fonctionnement »** ou des leçons de natation à nos amis congolais – où l'espace d'un instant, plus ou moins long, nous respirons d'un seul et même souffle.

Ce soir cependant, il aura fallu jongler avec la relative discrétion des trois caméras de la télé gabonaise et de leurs cameramen, avec la crainte que tous nos ballons explosent un à un comme le matin même à la répétition générale, avec l'excitation à l'idée de la venue possible des ancêtres sur le plateau, invoqués dans un chant traditionnel d'une beauté à couper le souffle par nos six spect-acteurs gabonais.

En effet, la représentation a été marquée fortement par leur impressionnante présence. Ce soir leurs ancêtres sont restés tapis dans l'ombre mais j'ai encore été très frappée, ici comme dans chacun des pays que nous traversons depuis le début de cette tournée, par le poids et la vivacité des croyances et des rites régnant autour d'eux.

Enfin, je réalise à l'issue de la représentation que nous devenons nous-mêmes des personnages. Un spectateur m'interpelle : « Bravo Marilor ! ». Je m'étonne de la simplicité avec laquelle il utilise mon prénom comme si Marilor était devenue une figure. Cela est dû au fait que nous nous appelons tous (sauf Damien) par nos prénoms dans le spectacle. Rigolo… Ça me touche ?

* Ici, on sirote la « Rehab », bière gabonaise, là l'infect Djino, soda national au pamplemousse chimique.
** Le fonctionnement est un concept qui fait partie intégrante de la vie du Brazzavillois et que nous utilisons maintenant quotidiennement pour exprimer au sens large, le fait de faire la fête, sous quelque forme que ce soit.

Marie-Laure Crochant

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Princia Jéarbuth Hervienne Biyela.
© Baudouin Mouanda

JOURNAL DE TOURNÉE DE ROLAND FICHET 
LIBREVILLE – JEUDI 2 AVRIL 2009

Myriam Mihidou, photographe et plasticienne, me raconte son rêve de la nuit précédente. L'évocation des ancêtres à la fin du spectacle l'a frappée au point que les esprits sont venus habiter son rêve, se sont penchés sur elle, l'ont veillée. Ensuite, elle me parle de son père auquel elle vient de rendre visite – un père prolifique : trente-trois enfants. Elle ne l'avait pas vu depuis des années. Elle dit : J'ai posé ma main sur sa main et je suis restée ainsi auprès de lui. Elle pose sa main sur ma main. Pendant une bonne minute, je sens sa main sur ma main. Cette femme sait toucher.

Je demande à Guy Lacroix de me montrer des photographies de Myriam. Il m'en montre trois dans son bureau. Sur chaque photo, une main ligaturée, lacée, sculptée. Chaque main est photographiée sur un fond rouge. Une d'elles serre une grosse pierre. Les doigts de la troisième photo sont criblées d'aiguilles. Comment toucher ? Je suis émue par ces photos-sculptures. Je voudrais en voir d'autres. Guy Lacroix m'apporte un gros livre édité par le musée Dapper : « Gabon, présence des esprits. »

Le titre fait écho au rêve que m'a raconté Myriam hier au soir. Dans le livre, une quinzaine de photos des œuvres de Myriam dont des images extraites d'une vidéo qui fait voir la disparition du corps, le passage du visible à l'insaisissable. Le titre de l'article qui présente Myriam et son oeuvre : Du matériau à l'immatériel.

Stéphane, un des acteurs-figures qui a participé à la représentation du 31 mars me montre des photographies de visages  maquillés recouverts de marques blanches (comme dans Anatomies 2009). Ces visages sont ainsi peints lors de cérémonies inititiatiques. Sur la couverture de la revue Gabon qui vient de sortir (printemps 2009) la photo d'un visage de jeune homme peint pour une cérémonie. C'est le visage du propre fils de Stéphane. Toujours sur la couverture, le titre principal : « Esprits de la forêt. Quand les savoirs ancestraux enrichissent la vie moderne… » À l'intérieur de la revue, Gwenaëlle Dubreuil décrit dans son article des gestes d'initiation mais aussi de thérapie et des incantations aux ancêtres.

Ici à Libreville, nous avons développé la dernière partie du spectacle, celle qui justement évoque les ancêtres. Cette partie commence par le chant des acteurs du pays, se déploie à travers l'expérience physique que joue Damien entouré de trois corps masqués. « J'ai un ancêtre coincé dans la gorge », se continue par trois prières iconoclastes aux ancêtres et se termine par des visages peints en blanc, barrés d'un trait rouge, vert ou jaune.

Ici, pour la première fois, nous avons libéré les figures fantômes de leur cadre. Au fur et à mesure de la dernière prière, celle de Rudolf Ikoli (Aucarré), elles s'avancent vers le devant de la scène. La dernière image du spectacle, ce sont leur bouches lumineuses. Il y a maintenant des choses que nous comprenons sur ce que j'ai écrit que nous ne comprenions pas encore à Brazzaville et à Saint-Brieuc en 2008. Il y en a d'autres qui, au Gabon, ont pris plus d'épaisseur et de mystère.

Roland Fichet

cliquer ici pour lire l'intégralité du journal de tournée de Roland Fichet.

Guy Lacroix, directeur du Centre Culturel Français Saint-Exupéry, Libreville, Gabon.
© Théâtre de Folle Pensée

MON TRAVAIL M'A APPRIS, JE CROIS, À RESPECTER ET PRENDRE 
UN PEU DE LA CULTURE DE L'AUTRE

Interview de Guy Lacroix, directeur du Centre Culturel Français Saint-Exupéry, Libreville, Gabon.

SUR LE SPECTACLE

Ce qui m'a intéressé dans le spectacle, c'est d’abord le texte de Roland Fichet, cette amusante déclinaison du verbe « toucher », du toucher des corps au  toucher du cœur et de l'âme  qui va jusqu'au toucher qui fait mal et qui tue. Ce jeu du verbe est parfaitement servi par un groupe d’ acteurs dont les origines différentes se fondaient parfaitement dans le travail de mise en scène. Il n'y a pas dans ce spectacle ce côté paternaliste trop souvent présent dans la coopération entre un metteur en scène français et des acteurs africains. Les corps se mêlent, les corps se touchent sans que la différence raciale ne perturbe le propos.

Dans notre programmation, Anatomies vient à point nommé après le spectacle de Kettly Noël, Chez Rosette, qui mêlait aussi des gens d'horizons différents et posait d’une tout autre manière la question du corps. Kettly Noël travaille à Bamako avec des danseurs maliens et européens, et Roland Fichet travaille à Brazzaville avec des acteurs français et congolais. La programmation d'Anatomies n'est pas le fait du hasard, c'est le fruit d'une réflexion qu'on essaie de mener ici sur la question du corps, et de l’identité, de l’autre et de la diversité.

ANCÊTRES

L'interpellation aux ancêtres, dans le texte de Roland Fichet, est une interpellation totalement occidentale. Le public africain qui va recevoir cette interpellation devrait réagir et protester. La vision de l'ancêtre où l'acteur déclare : « j'ai un ancêtre coincé dans la gorge » et dont  il veut se débarrasser car il est malfaisant, est inacceptable dans la philosophie locale. L'ancêtre est forcément quelqu'un qui va t'aider à trouver ton chemin et à te guérir si tu as un problème. L'ancêtre est donc bénéfique, et s'il est maléfique il sera encore plus respecté parce que craint. On ne va pas du tout le contrarier, chercher à l'interpeller ou à le chasser, bien au contraire.

J'ai retrouvé dans ce texte de Roland Fichet des choses que nous partageons car nous sommes à peu près de la même génération, celle qui a voulu se débarrasser de ses ancêtres, créer la fracture avec la génération précédente, qui était pour nous pesante, traditionaliste. Son cri s'entend très bien dans ce sens-là mais pas du tout dans le sens africain, car même si la fratrie est très pesante  on doit la gérer, on n'a pas le choix, dans le contexte de la fratrie africaine c’est le collectif qui domine pas l'individualisme, même si les crises que traverse le continent tendent à modifier ces rapports de l’individu au groupe. Or, le texte de Roland est un cri individualiste.

TOURNÉE RÉGIONALE

L'idée de la tournée régionale* c'est de repérer un certain nombre de spectacles – généralement cela concerne plutôt les arts vivants – dans le courant de l'année, qui peuvent s'intégrer à nos programmations. L'idée c'est de fédérer le travail qui est fait à Brazzaville, Yaoundé, Kinshasa, Douala, etc. C'est possible à une petite échelle, ça devient compliqué à plus grande échelle car les liaisons sont difficiles entre pays d'Afrique, surtout entre l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique Centrale. Aujourd'hui, l'évolution des tournées c'est de lier ces choix de spectacles à des programmes. On a ainsi un programme danse, pris en charge par Brazzaville, photographie, géré par Bamako, cultures urbaines dont Libreville est chargé, etc. Il s'agit donc de lier ces tournées à des objectifs bien déterminés à l'avance, et de ne pas faire du cataloguage, ce qui a pu nous être reproché auparavant. En plus de la promotion des compagnies africaines, nous avons ce rôle de diffusion des compagnies françaises. Le rôle des tournées régionales c'est de faire circuler un travail produit par un C.C.F. Les coûts des transports sont tels que nous ne pouvons pas nous permettre de faire venir seuls un spectacle de France avec sept ou huit comédiens.

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Michel Ndaot, Thérèse Bouanga Nzaou.
© Théâtre de Folle Pensée
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APERÇU DU THÉÂTRE AU GABON

Dans les années 1980, le théâtre en Afrique – pas seulement au Gabon – se portait plutôt mieux : de jeunes compagnies et des auteurs assez pertinents émergeaient (Laurent Owendo). Mais les années 1990 ont apporté je pense une certaine désillusion, le  théâtre a été moins soutenu, ce qui fait qu'au Gabon les quelques compagnies professionnelles qui existaient ont disparu.

On a aujourd'hui, à part l'atelier Eyeno de Michel Ndaot**, un théâtre amateur, universitaire et scolaire. Dans la danse c'est un peu différent car il y a une danse traditionnelle qui se porte plutôt bien. Il y a des groupes qui se manifestent à différents niveaux, dans des fêtes, des cérémonies, par contre la danse contemporaine est encore à l'état d’amateurisme parce qu'il n'y a pas de possibilité d'en vivre, il n'y a pas de troupe professionnelle contemporaine. C'est pour ça que nous essayons d'aider quelques danseurs de bonne qualité à aller plus loin, comme Peter Nkoghe.

Il y a un ministère de la culture qui a un département théâtre, danse, etc., mais qui n'aide pas suffisamment les artistes à être présents sur la scène internationale, sans doute pour des raisons budgétaires et un manque d’intérêt. C'est un problème car pour devenir professionnel, ils doivent impérativement se confronter aux autres et juger du travail qu'ils ont à accomplir.

LE CCF DE LIBREVILLE

Nous avons une fréquentation importante au Centre Culturel, environ 60 000 spectateurs par an. La médiathèque reçoit  90 000 personnes par an, ce qui est très important. Le Centre Culturel est le lieu de la connaissance, l'endroit où les étudiants gabonais vont trouver ce dont ils ont besoin tant dans le domaine artistique que scientifique. C'est d'autant plus vrai que nous avons ouvert depuis deux ans un centre pour les études en France où plus d'un millier d'étudiants viennent s'inscrire chaque année pour choisir leur université, leur école supérieure en France.

Nous avons également réuni 4000 documents qui constituent le « fonds Gabon », des thèses, des mémoires, des livres rares, que nous sommes en train de numériser et de mettre à disposition des chercheurs sur internet (cliquer ici pour consulter le fonds Gabon sur le site web du CCF de Libreville).

Il y a donc cette volonté de mieux faire connaître, d'une part, et de mieux faire connaître le Gabon, d'autre part.

La seconde mission du CCF c'est de fournir des résidences, des ateliers aux artistes. On essaie beaucoup de faire revenir des artistes gabonais au pays. Le meilleur exemple est un jeune danseur, Herwann Asseh, qui travaille au Quartz à Brest. Il est breton par sa mère et fang par son père. Herwann est revenu en résidence ici, présenter un spectacle, retrouver sa famille et retrouver une partie de ses racines.

Enfin, il y a un Centre national du cinéma au Gabon qui est un de nos partenaires privilégiés. J'ai créé il y a trois ans les Escales documentaires de Libreville à l'occasion desquelles nous réunissons une trentaine de documentaires et leurs réalisateurs, qui traitent de l'Afrique mais aussi du monde de manière plus large.

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Le Centre Culturel Français Saint-Exupéry, Libreville, Gabon, dirigé par Guy Lacroix.
© Théâtre de Folle Pensée
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POLITIQUE CULTURELLE FRANÇAISE À L'ÉTRANGER

Il y a eu différents moments au niveau de la politique culturelle extérieure de la France***. Ces moments correspondent à des grands tournants de l'histoire de France. Suite à la grande défaite de 1870, on a eu très peur pour le rayonnement de la culture française, et donc en 1883, un certain nombre d'intellectuels français se sont réunis à Paris dans une maison qui s'appelle aujourd'hui la Maison de l'Amérique latine, pour créer « l'Alliance Française ». Dès 1884, l'île Maurice répond positivement, en 1886 c'est Buenos Aires, Rio de Janeiro, Sao Paulo etc. Des comités d'intellectuels, de scientifiques, se réunissent pour sauver la culture française.

La seconde étape c'est la guerre 1914-1918, qui provoque une terrible interrogation culturelle au moment où  deux piliers de la culture européenne sont exsangues. Dans les années 1920-1930 on crée en Allemagne, dans l'Europe de l'est, tous les instituts universitaires qui permettent de défendre le point de vue français de la recherche, dans des domaines comme les sciences, l'histoire, la sociologie, la littérature, etc. Les « instituts culturels » constituent le réseau européen.

La dernière grande fracture c'est la décolonisation dans les années 1960. On s'est dit : « attention, on va quitter l'Afrique, que faire pour maintenir toute cette coopération artistique et culturelle ? » On a donc créé les « Centres Culturels Français ». Ces derniers ont joué un rôle éminent dans le domaine de la coopération. Pas un artiste africain ne va contester le fait qu'à un moment ou un autre de sa vie professionnelle un déclic s’est  produit en voyant un film, un spectacle, en lisant un livre au C.C.F. Ces lieux ont permis et permettent toujours ce moment privilégié de rencontre avec une culture.

Aujourd'hui ces établissements sont décriés. Leur efficacité est remise en question. Les réformes sont à la mode. J'ai vu les crédits s'amenuiser d'année en année, donc l'efficacité ne peut pas être la même. Qui plus est, dans certains pays, l'appel à mécénat n'est pas évident, il est par exemple plus facile en Asie qu'en Afrique.

Ces établissements ont leur histoire propre. Les Alliances Françaises, les Instituts, les Centres Culturels, certes défendent une certaine politique extérieure de la France, mais ont également leur vie et leur histoire propres. Je crois qu'il ne faut pas se priver de cette variété et de cette richesse. On cherche à uniformiser un système, alors que ces réseaux-là fonctionnent plutôt bien. Il y a ainsi un millier d'Alliances Françaises dans le monde, le réseau est parfaitement constitué, on compte 144 Centres Culturels qui fonctionnent plutôt bien, mais leur nombre a décliné au cours des années.

L'explosion du multimédia est déterminante mais trompeuse : La présence au sol doit être conservée. Cette présence au sol est  toujours nécessaire, puisque nous l'avons vu dans beaucoup de pays, les gouvernements n'ont pas pris la suite et n'ont pas défini une politique culturelle d'état. Certains pays l'ont fait, comme le Sénégal, le Mali, le Burkina… Si l'on veut que l'Afrique parle toujours français dans quelques années, il me paraît essentiel que l'on garde cette présence culturelle au sol avec des établissements qui sont souvent très inscrits dans le paysage local et qui rendent énormément de services en termes de structuration et de professionnalisation de la vie culturelle locale.

UNE VIE NOMADE

Je suis breton, les Bretons sont des marins, ils partent. J'ai vu la mer toute mon enfance et bien évidemment je n'ai eu qu'une envie c'est de prendre le bateau et de partir. Cela  fait trente-cinq ans que je suis nomade. Tierno Monemembo nous disait lors du café littéraire de samedi dernier, « je suis en exil mais je suis guinéen, je transporte ma terre avec moi ». Pour ma part je n'ai pas du tout ce sentiment-là, je ne me sens pas d'un territoire, je ne me sens pas de racines, mes racines sont monde.

J'ai commencé ma carrière en Asie à vingt-cinq ans, puis je suis allé en Amérique latine où j'ai passé treize ans, Argentine et Costa Rica, terres de bouillonnement intellectuel fabuleux, puis en Afrique de l'Est, Ethiopie, Kenya, où j'ai découvert la culture Amhara. Ensuite je suis retourné travailler en France à Culturesfrance pendant trois ans, où j'ai mis en place la saison du Brésil en France avec Jean Gautier comme président et Jean-François Chougnet, comme commissaire. J'ai ensuite travaillé au Portugal et enfin ici, en Afrique francophone, que je ne connaissais pas.

Ces chocs avec les grandes cultures du monde font que je ne peux pas revendiquer ma culture plus que les autres. Mon travail m'a appris, je crois, à respecter et prendre un peu de la culture de l'autre, c'est très important pour survivre en tant que nomade, car j'ai aussi beaucoup perdu en voyageant. Si je ne m'étais pas nourri d'un certain nombre de choses au cours de mes voyages, je serais absolument nu. Je n'ai pas besoin d'aller chercher des racines marquées d'A.D.N., mon itinéraire c'est plus celui d'un imaginaire, d’un rêve.

* Anatomies 2009 est représenté en Afrique dans le cadre d'une « tournée régionale ».
** Michel Ndaot était sur scène avec cinq autres acteurs-danseurs-chanteurs de Libreville pour la représentation d'Anatomies le 31 mars.
*** Guy Lacroix a écrit : « Une histoire de l'Afaa - Artistes sans frontières »  pour les quatre-vingt ans de cet organisme. Afaa : Association Française d'Action Artistique, devenue aujourd'hui Culturesfrance.

Propos recueillis par Alexandre Koutchevsky – 31 mars 2009

Premier plan : Aucarré Wankazi Rudolf Ikoli. Arrière plan, de gauche à droite : Destinée Léa Tchibassa, Fanny Mabondzo, Odette Badila, Magogo.
© Baudouin Mouanda

LA PREMIÈRE CHOSE QUI FRAPPE 

Tout juste arrivés à l’aéroport de Brazza, et après quelques péripéties pour récupérer nos valises à la douane, on saute à l’arrière du pick-up du CCF. La nuit vient de tomber. La lune est pleine. L’avenue qui relie l’aéroport au centre-ville est parcourue par des dizaines de jeunes hommes lisant ou tenant dans leurs mains de mystérieuses feuilles blanches. Je ne comprends pas ce qu’ils font là. Vendent-ils des journaux ? Distribuent-ils des tracts ? Apprennent-ils des textes pour leur prochaine pièce ?

J’interroge Aucarré : – C’est qui ces jeunes ? – Des étudiants, me répond-il, qui profitent que cette avenue soit l’une des rares éclairées dans la ville, parce qu’ils n’ont pas le courant chez eux.

À Brazza, tu dois jouer avec le courant. À Brazza, la nuit tombe vite, vers 18h, et commence alors une autre vie, une autre ville.

Marie-Laure Crochant

De gauche à droite : Princia Jéarbuth Hervienne Biyela, Damien Gabriac, Marie-Laure Crochant.
© Baudouin Mouanda

UNE FEMME (MARILOR) 
Dans quel état je suis regarde, regarde dans quel état, dans quel état je suis. Étranger oui, mon corps m’est étranger. De plus en plus. Toucher comment ? Avec quel organe ? Toucher avec la… main ? Dans cet état !
La façon dont s’habille mon corps, je ne la comprends pas, je suis en désaccord avec la façon dont s’habille mon corps ; regarde comment je suis habillée.
Les vêtements qui sont sur mon corps je ne les connais pas, je ne les reconnais pas, je ne sais pas d’où ils sortent. D’où ils sortent ces vêtements ? Des vêtements que ma mère ou ma sœur ou ma meilleure amie ou je ne sais qui ont accrochés dans ma chambre, dans mon armoire, c’est ce que j’imagine, je ne sais pas.
C’est pas grave ? mais si c’est grave, c’est très grave.
Les états de mon corps m’échappent mon corps est entré en guerre, en guerre contre moi.
Conscience ? Quelle conscience ? conscience de quoi ?
Dans quel état je suis ! Mais dans quel état je suis tout m’échappe ! Alors toucher !
Du mieux que je peux je planque mes troubles, je les dissimule. En famille je maquille, en société je grime, du mieux que je peux, ces troubles qui me bousculent, me chavirent, me mettent dans ces états étranges qui m’épouvantent.
Dans ma bouche même. Jusque dans ma bouche c’est la débandade, l’anarchie. Hier soir, je voulais dire à mon mari : tu veux aller te coucher ? J’ai buté sur le ke de coucher, je n’ai pas dit : tu veux aller te koucher ? à la place du ke c’est un te  qui est venu, qui s’est glissé là, pas un de un te, je n’ai pas dit tu veux aller te doucher ? non, j’ai dit autre chose : tu veux aller te tou… tou ? Il l’a mal pris, mon mari, très mal pris, il m’a battue.

Lui aussi m’est étranger, de plus en plus étranger. Lui aussi c’est un étranger, il me rend folle.

(Roland Fichet, Anatomies 2009. Comment toucher ?)

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